Interpellation concernant l’attractivité de Bruxelles par l’art public.

Interpellation de Monsieur Gaëtan VAN GOIDSENHOVEN, Député, adressée à M. Rudi VERVOORT, Ministre-Président du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, chargé des Pouvoirs locaux, du Développement territorial, de la Politique de la Ville, des Monuments et Sites, des Affaires étudiantes, du Tourisme, de la Recherche scientifique et de la Propreté publique,

concernant « l’attractivité de Bruxelles par l’art public ».

M. Gaëtan Van Goidsenhoven (MR).- Après plusieurs années de vie politique au niveau local et régional, j’ai acquis la conviction que la principale de nos missions – ici au parlement tout comme au gouvernement bruxellois et dans nos communes – est de renverser la mécanique infernale qui consiste à ce que notre ville-région soit de plus en plus subie par nos concitoyens et non pas choisie pour ce qu’elle peut offrir à ses habitants.

En d’autres termes, sans une action déterminée des autorités publiques, trop d’habitants vivront ici à Bruxelles par défaut, tout simplement parce qu’ils n’ont pas les moyens de vivre ailleurs. C’est d’ailleurs ce qui transparaît des dernières études relatives à la fuite des classes moyennes de Bruxelles vers les communes de la périphérie, notamment.

Dans ces communes, les habitants semblent subir moins de contraintes et moins de nuisances pour un prix souvent inférieur. La balance entre les atouts de notre ville-région et ceux de ces communes extérieures à Bruxelles penche aujourd’hui très largement en notre défaveur. Les chiffres sont là pour le démontrer.

Sans une réaction des élus régionaux et locaux, la principale ambition de bon nombre de nos concitoyens bruxellois – certains diront : leur premier objectif – sera tout simplement de quitter la ville afin d’offrir un avenir meilleur à leur famille. Croyez bien, M. le ministre-président, que j’en suis profondément désolé et qu’il ne saurait être question, même depuis les bancs de l’opposition, d’y trouver la moindre raison de nous réjouir de cette fuite de nos classes moyennes contributives.

C’est pour cette raison que je suis résolument convaincu que tout l’enjeu de Bruxelles sera de redevenir attractive pour nos concitoyens de la classe moyenne. Hélas, ces enjeux essentiels pour notre Région font beaucoup trop peu l’objet de débats dépassionnés au sein de notre assemblée. Or c’est d’abord par le retour de la classe moyenne dans notre Région que nous pourrons replacer Bruxelles dans un cercle vertueux.

Dans ce contexte, relevons que le gouvernement affiche sa volonté d’augmenter l’attractivité de la Région. Cela apparaît en filigrane dans toute la déclaration de politique régionale.

Il est entendu qu’une ville est attractive pour mille et une raisons. C’est dès lors la conjugaison d’initiatives publiques et privées qui permettra de restaurer une certaine confiance dans le chef de nos concitoyens.

Parmi les engagements pris par le gouvernement, je relève ceux qui concernent les enjeux culturels, comme indiqué dans ladite déclaration gouvernementale : « Il importe que Bruxelles joue davantage sa carte « Culture » sur la scène internationale, mais aussi comme levier de développement urbain. »

C’est précisément sur le développement d’une vision territoriale de la diffusion culturelle que je souhaite interpeller le ministre-président chargé du développement territorial et de la politique de la ville.

Quels sont les principaux projets culturels portés dans le cadre des politiques d’aménagement de la Région ? Concrètement, quel est leur état d’avancement ?

De par mes diverses fonctions, j’entretiens de nombreux contacts avec divers décideurs impliqués dans le renouveau urbanistique de notre Région et je dois avouer que la dimension culturelle n’est presque jamais évoquée. Quelles sont vos ambitions réelles, outre le projet médiatique de musée dans le bâtiment Citroën ?

Je m’intéresse à la rénovation de lieux culturels locaux, mais aussi à l’aménagement d’espaces publics intégrant des œuvres culturelles. J’en viens donc à la question de l’implantation d’œuvres d’art dans l’ensemble des espaces publics bruxellois, et plus particulièrement le long du canal et de la Petite ceinture. Cette question fut, à une époque, au cœur d’une politique savamment orchestrée. Je me souviens à ce propos du travail réalisé par Éric André. Ces dernières années, cette dimension semble être passée au second, voire au dernier plan.

Merci dès lors, Monsieur le ministre-président, de venir nous rassurer du contraire en nous faisant l’étalage des projets concrets budgétisés qui font l’objet d’une étroite concertation avec les acteurs culturels existants et les différentes communes.

Je ne suis pas du genre à systématiquement tomber en pâmoison devant tout ce qui se réalise dans les grandes villes étrangères. Je souhaite cependant attirer votre attention sur certaines expériences en matière d’art public. Je citerai en exemple nos cousins du Canada et plus particulièrement de Montréal.

Depuis la fin du mois de septembre 2014, les citoyens peuvent vivre une expérience immersive novatrice en matière d’art public. Le Bureau d’art public de Montréal et ses partenaires du milieu associatif ont créé un circuit d’art public unique au monde, un parcours sonore poétique offert à tous et accessible aux personnes ayant des limitations fonctionnelles, qu’elles soient visuelles, intellectuelles ou physiques.

Composé de différentes œuvres d’art public situées à Montréal, le circuit offre une description visuelle, des notes d’interprétation du sens des œuvres et des notes biographiques sur leurs créateurs. Le circuit a pour point de départ et d’arrivée une station de métro très centrale. Il y a donc, derrière l’implantation des œuvres dans l’espace public, une réflexion stratégique très forte et un message parfaitement élaboré à destination de celles et ceux qui vivent dans ces quartiers de Montréal ou les fréquentent.

Pour quelle raison pareil projet ne pourrait-il pas être mené dans notre Région, nos communes, nos quartiers ? Tous ces endroits ont bien souvent une histoire, une identité forte qui pourrait être mise en exergue par des créations artistiques. N’est-il pas temps que le gouvernement se mobilise pour élaborer aussi une stratégie de développement de la présence d’œuvres d’art dans l’espace public ? Mais attention, pas en plaçant des créations artistiques aux quatre coins de la ville, mais bien en agissant en interaction complète avec chacun des quartiers qui abriterait une œuvre d’art majeure.

L’art n’est-il pas un atout majeur qui conduirait, conjugué à d’autres efforts, à attirer durablement vers nous des citoyens épris de ce que pourraient être la joie et la beauté de vivre en ville ?

M. Rudi Vervoort, ministre-président.- La place de l’art et, plus largement, de la culture dans l’espace public posée par votre interpellation est en liaison avec l’appropriation de l’espace public par l’ensemble des populations qui composent Bruxelles. Cet enjeu contribue à l’identification au quartier dans lequel on vit.

À cet égard, les communes ont un rôle important à jouer en mettant en avant les créateurs locaux. Cela a été fait à diverses reprises à Evere et cela a permis d’implanter la culture sur l’espace public à un coût qui est sans commune mesure avec des œuvres de Strebelle. Permettre à des artistes locaux de pouvoir être exposés dans des espaces publics est quelque chose auquel je suis particulièrement attaché. Une série d’acteurs locaux peuvent ainsi être mis en lumière notamment via les centres culturels et l’ensemble du monde associatif bruxellois.

La place de l’art dans la ville joue est donc un enjeu de proximité. L’idée n’est cependant pas d’exclure des artistes tels que Strebelle. Nous avons besoin d’œuvres d’art emblématiques réalisées par des artistes de renom car cela peut constituer une source d’attractivité de personnes extérieures.

L’Agence pour le développement territorial (ADT) est présente en première ligne pour élaborer l’inventaire de l’offre en équipements culturels en Région bruxelloise. L’ADT est aussi chargée de l’identification de ces spécificités territoriales et d’orienter les choix en termes d’aménagement territorial de l’offre en équipements culturels. Cela fera partie des futurs contrats de rénovation urbaine. Nous en tiendrons compte dans le cadre de la rédaction du Plan régional de développement durable (PRDD).

Il me semble également important d’attirer votre attention sur le programme opérationnel approuvé en décembre dans le cadre de la programmation liée au Fonds européen de développement régional (Feder).

Le deuxième objectif stratégique repris dans l’axe 4 « améliorer le cadre de vie et l’environnement des quartiers et des populations fragilisées » invite spécifiquement au dépôt de candidatures visant à « renforcer l’offre d’infrastructures et d’équipements culturels qui accompagnent la revitalisation urbaine dans les quartiers défavorisés ».

Dans le cadre de la définition du contenu des futurs contrats de rénovation urbaine (CRU), nous prévoirons, pour chaque périmètre, la possibilité d’établir un projet de soutien à l’innovation et/ou la créativité.

De manière générale, vous n’êtes pas sans savoir que le maître-architecte a jusqu’ici prêté une attention particulière à la question et l’enjeu de la présence de l’art dans l’espace public. Il en ira de même pour son successeur et la liste des projets en la matière est assez étoffée.

Vous avez évoqué la question du musée d’art moderne et contemporain. M. Verstraete m’interrogera visiblement ultérieurement à ce sujet. Vous avez ainsi la possibilité d’introduire des interpellations préventives !

Je poursuis en vous rappelant l’existence du 1% culturel dans les programmes de la Société du logement de la Région de Bruxelles-Capitale (SLRB). Je peux ainsi vous faire visiter des projets concrets dans certains quartiers de logements sociaux où, suivant un mode participatif en collaboration avec les habitants, nous avons pu introduire l’art dans des projets liés à l’espace public et aux logements sociaux à Bruxelles.

On peut ainsi parler d’une véritable appropriation du projet par les habitants et ce, dans des quartiers a priori plus fragiles. De manière générale, ces projets sont évidemment de nature à assurer une forme de cohésion sociale. Le fait d’impliquer les habitants les met en valeur. L’art et la culture sont des enjeux de cohésion à partir du moment où nous les rendons accessibles dans tous les quartiers.

M. Gaëtan Van Goidsenhoven (MR).- C’est ce qu’on appelle la médiation culturelle. On peut se réjouir qu’enfin, cette médiation commence à gagner un certain nombre de quartiers. Il n’y a pas plus tard que la semaine dernière, j’ai pu, dans le cadre d’un projet de rénovation d’une tour datant des années 60 et dont l’un des pans était totalement aveugle, proposer l’idée qu’il serait peut-être intéressant de porter un projet afin de donner, via une touche culturelle, une qualité complémentaire aux travaux visant à renforcer l’habitabilité de ces logements. On m’a immédiatement objecté, avec un demi-sourire, que cela aurait un certain coût. Vous voyez que ce sont des idées qui percolent mais qui tardent à faire effet dans la réalité.

M. Rudi Vervoort, ministre-président.- J’ai inauguré récemment un ensemble de logements sociaux qui viennent d’être rénovés. Il s’agit d’un immeuble assez emblématique puisqu’il a été conçu par l’architecte Willy Van Der Meeren. Il n’empêche qu’on a intégré dans le coût de cette rénovation des éléments culturels produits par un artiste local ayant une certaine célébrité, Jo Delahaut. Cette dimension culturelle figurait bel et bien dans le projet immobilier initial. C’est tout l’intérêt de ces projets : la capacité d’intégrer également, dans le cadre d’une rénovation intelligente et non figée de ce bâtiment (non classé bien que figurant dans la liste de sauvegarde), un travail intérieur. Cela s’est fait par le développement de projets de type logement kangourou.

La culture fait donc bel et bien partie de ces nouveaux modes d’habitat, de fonctionnement et de vivre ensemble. Il ne faut certainement pas l’exclure dans ce type d’infrastructures. Il ne faut pas la considérer comme du luxe. La culture doit être ouverte à tous.

Dans un autre registre, on peut également évoquer le parcours culturel européen qui est sur le point de voir le jour. Développé par l’Agence de développement territorial pour la Région de Bruxelles-Capitale (ADT), l’objectif est de reconnecter le Mont des arts avec Schuman et de désenclaver le quartier européen par des opérations minimes : signalétique, éclairage, animations, … Cela devrait également permettre la mise en valeur les atouts culturels méconnus de ce quartier qui, lui aussi, connaît une augmentation significative du nombre d’habitants. On a connu jadis sa désertification en termes d’habitants. Aujourd’hui, grâce à des actions visant à redévelopper des projets résidentiels, de nouveaux habitants investissent ce quartier.

C’est tout l’enjeu aussi de l’occupation temporaire de l’espace par des œuvres d’art, qui, au gré de projets ponctuels, peuvent aussi être intégrées à l’espace public. Nous avons entamé une réflexion concernant la possibilité d’une année à thème consacrée à l’art contemporain, parallèlement à la mise en place du musée. Ce serait l’occasion d’un déploiement d’œuvres dans l’espace public à Bruxelles, réalisant un véritable parcours artistique. Les retours que nous avons des milieux culturels sont extrêmement positifs quant à la volonté de participer à la mise en œuvre de ce projet.

M. Gaëtan Van Goidsenhoven (MR).- J’entends la volonté affichée par le ministre-président, mais au-delà des intentions, ce sont bien entendu les réalisations concrètes qui compteront. En Région bruxelloise, même si nous connaissons parfaitement les tendances actuelles dans les autres grandes villes, nous accusons un certain retard. J’attire donc l’attention du ministre-président et de son équipe sur l’intérêt d’intégrer des œuvres d’art dans l’espace public. Le placement de réalisations monumentales ou d’œuvres d’artistes locaux est louable, certes, mais la dimension de l’œuvre et la capacité du public à interagir avec elle font souvent défaut.

Pour susciter l’implication des citoyens et leur interaction avec les œuvres, il importe qu’il y ait dialogue et interprétation, comme dans le cas du projet montréalais.

Je vous remercie pour cette intéressante discussion.

M. Rudi Vervoort, ministre-président.- Manifestement, Montréal vous a interpellé…

M. Gaëtan Van Goidsenhoven (MR).- On cite souvent les mêmes villes. Il est parfois intéressant de franchir l’Atlantique et de se pencher sur des villes qui, par leur nombre d’habitants et leur culture, ont des choses à nous apprendre.

 

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CRI COM (2014-2015) n°58, Mars 2015, pp. 18-26