Interpellation concernant l’évolution du rôle socio-économique du Port de Bruxelles

Interpellation de Monsieur Gaëtan VAN GOIDSENHOVEN, Député, adressée à M. Rudi VERVOORT, Ministre-Président du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, chargé des Pouvoirs locaux, du Développement territorial, de la Politique de la Ville, des Monuments et Sites, des Affaires étudiantes, du Tourisme, de la Recherche scientifique et de la Propreté publique

concernant « l’évolution du rôle socio-économique du Port de Bruxelles ».

M. Gaëtan Van Goidsenhoven (MR).- Même si ces dernières années, c’est davantage le potentiel de reconversion de son patrimoine foncier qui est au cœur des attentions des responsables régionaux, il ne faudrait pas oublier combien le port favorise la santé économique de notre Région.

En effet, avec plus de 300 entreprises installées sur son domaine, le Port de Bruxelles est l’un des acteurs économiques majeurs de notre Région de Bruxelles-Capitale. Il est entendu que la vitalité économique des entreprises établies tout le long du domaine portuaire se doit d’être préservée par les pouvoirs publics bruxellois et le Port de Bruxelles en particulier. En outre, puisque ces entreprises occupent un foncier public, leur valeur ajoutée et les emplois générés pour les Bruxellois méritent évidemment une attention très singulière.

Je souhaite aujourd’hui interpeller à propos de ces enjeux économiques importants. Qu’en est-il, depuis le début de la législature, de l’évolution du tissu d’entreprises installées le long de la voie d’eau ? Assistons-nous à l’émergence de nouveaux secteurs économiques dans le domaine portuaire ? Si oui, lesquels sont-ils encouragés par les autorités régionales, notamment au travers du Plan canal ?

Concernant l’avenir du port, quelles sont les ambitions formelles du gouvernement au sujet de l’usage de la voie d’eau par ces entreprises ? On le sait, de trop nombreux occupants du domaine portuaire n’utilisent malheureusement pas assez, voire pas du tout, le canal. Or, l’avenir économique du transport fluvial semble serein. Il est, selon moi, important de lier davantage l’occupation des terrains portuaires à l’emploi effectif de cette voie d’eau. En 2014, quels ont été les nouveaux concessionnaires qui utilisent la voie d’eau ? Quels sont les tonnages escomptés ?

Par ailleurs, selon les indicateurs, la crise économique semble doucement derrière nous. Nous avons constaté à tout le moins une stagnation de certains trafics par voie d’eau, qui s’expliquerait par la morosité de l’économie européenne. Concernant Bruxelles, pouvez-vous estimer le nombre d’entreprises portuaires qui ont connu des difficultés en 2013 et en 2014 ? Le port a-t-il dû enregistrer des faillites ? Si oui, quelle est leur importance sur le plan financier et de l’emploi ?

Quelles initiatives ont-elles été prises, depuis le début de cette législature, pour renforcer l’embauche de Bruxellois par ces entreprises avec lesquelles une concession est signée ou renouvelée ? Combien d’emplois ont-ils été ainsi créés ?

Pour inscrire davantage le domaine portuaire parmi les principaux bassins d’emplois bruxellois, j’imagine que divers acteurs régionaux coopèrent à flux tendu autour de cet objectif louable. Pourriez-vous nous donner des informations précises sur les éventuels partenariats entre le port et d’autres acteurs publics actifs dans la formation professionnelle et le placement des demandeurs d’emploi ?

Enfin, puisque les chiffres permettent souvent d’illustrer un problème, je souhaiterais connaître, pour le domaine portuaire, le taux d’emploi en fonction des surfaces occupées par les entreprises, ainsi que l’évolution de cet indicateur au cours des dernières années. Cela nous fournirait des indications sur l’utilisation effective et judicieuse de réserves foncières qui ne sont pas extensibles à l’infini.

[Intervention de Madame Brigitte Grouwels]

M. Rudi Vervoort, ministre-président.- Contrairement à beaucoup de villes européennes, Bruxelles a pu garder au cœur de la ville un important pôle d’activités économiques en lien direct avec la voie d’eau. Les avantages pour la Région de ce pôle portuaire sont nombreux : création d’emplois majoritairement peu qualifiés et de valeur ajoutée, intégration bénéfique pour notre économie dans les réseaux transeuropéens de transport, diminution des nuisances liées au transport (congestion, bruit, émissions de CO2, etc.).

Si elle est indispensable à l’usage du transport fluvial et maritime, la localisation de ces entreprises le long du canal et singulièrement le long des bassins – là où l’attrait de la voie d’eau est le plus fort en termes paysagers – représente un défi dans une Région confrontée à des enjeux démographiques et immobiliers majeurs. Il fallait donc trouver un outil permettant de dépasser les conflits d’usage et d’aboutir à un développement concerté, sinon harmonieux, des fonctions économiques, résidentielles et urbaines.

Je rappelle que c’est l’objectif assigné au Plan canal qui doit, dans les dix ans à venir, lancer une dynamique régionale de réappropriation par la Région de son port et par les entreprises portuaires de leur intégration urbaine.

Le Plan canal fait le pari de la densification, de la mixité fonctionnelle et de l’intégration urbaine. Il ne s’agit pas de chasser les entreprises du périmètre canal, mais au contraire de leur permettre d’y développer leurs activités grâce à une meilleure acceptation de leur présence par les habitants.

Les entreprises portuaires, individuellement et par le biais de leur association représentative, la Communauté portuaire bruxelloise, sont associées à cette démarche, qu’elles accompagnent, pour certaines très activement. C’est le cas du fabricant de béton Inter-Beton, qui a lancé fin 2014 un concours d’idées auprès de quatre écoles d’architecture de Bruxelles et dont le résultat sera présenté en septembre prochain.

De son côté, le gouvernement bruxellois a décidé le 5 février dernier de passer à la phase opérationnelle du plan de redéploiement de la zone du canal. Il a décidé de délimiter un périmètre opérationnel qui constitue la préfiguration d’un périmètre d’intérêt régional au sens du Code bruxellois d’aménagement du territoire (Cobat).

Ce périmètre de 700ha sera un cadre de référence qui fondera l’action d’un fonctionnaire délégué désigné comme interlocuteur spécifique pour l’instruction des permis d’urbanisme liés à la réalisation du Plan canal et constituera un périmètre au sein duquel chaque projet d’envergure devra être la traduction des principes de développement du Plan canal, à savoir la densité, la mixité fonctionnelle et l’intégration urbaine.

Le gouvernement a également décidé de faire aboutir rapidement la constitution d’une structure spécifique dédiée à la mise en œuvre opérationnelle du Plan canal. L’expérience montre en effet que le développement urbain nécessite de concentrer, dans une large mesure, à la fois une certaine dose de maîtrise foncière et une certaine dose de maîtrise d’ouvrage. Ce sera précisément l’objet de cette structure à créer – qui doit être votée vendredi prochain -, comme le prévoit l’accord de gouvernement.

Enfin, il a été décidé qu’un budget important, d’environ sept millions d’euros, allait d’ores et déjà être réservé pour financer un vaste projet d’espace public sur un site témoin et ainsi traduire en faits concrets l’engagement du gouvernement de transformer le territoire du canal en une nouvelle centralité, un trait d’union entre les quartiers, alors qu’il est perçu aujourd’hui par beaucoup comme une cicatrice ou une frontière. Dans sa vision de Bruxelles, Eric Corijn fait d’ailleurs de la zone du canal une des futures centralités de notre Région, avec le Pentagone. C’est une vision ambitieuse, à laquelle je souscris pleinement.

Conformément au Plan canal, mais aussi au Plan stratégique pour le transport de marchandises à Bruxelles, au Masterplan du Port de Bruxelles et au plan directeur du Plan particulier d’affectation du sol (PPAS) Biestebroeck, les projets portuaires poursuivent leur mise en œuvre : adoption du projet de terminal de croisière à hauteur des pavillons Meudon dans le cadre du programme du Fonds européen de développement régional (Feder) pour Bruxelles, lancement d’une concession de travaux publics pour le futur terminal à l’avant-port qui doit permettre de réurbaniser le quartier Heyvaert, création du village de la construction au bassin Vergote, commercialisation du terrain adjacent au centre de transport international routier (TIR) et à Tour & Taxis, lancement de l’appel à projets pour l’exploitation du centre de transbordement urbain (CTU) à Biestebroeck.

Tout cela a été décidé par le gouvernement et est lié à la consolidation de la dette du port, dont les investissements affectent désormais directement la Région. Ce sont des avancées concrètes. Tous ces projets à base économique font l’objet d’une concertation particulièrement poussée avec les acteurs du Plan canal, pour s’inscrire dans l’objectif global que je viens de rappeler.

L’actualisation par Actiris et la Banque nationale de Belgique de l’étude sur l’emploi est en cours. Les résultats sont attendus pour le début de 2016. Les dernières données à ce sujet portent sur l’exercice 2008 et ne permettent pas encore de tirer les leçons générales de la crise.

Cependant, plusieurs facteurs donnent une première impression de cette évolution. L’évolution des trafics par voie d’eau entre 2008 et 2014 montre une baisse de 9% malgré le dynamisme certain des activités portuaires, avec notamment le démarrage de plusieurs nouveaux trafics liés aux fonctions urbaines : transport de palettes, évacuation du verre et des terres de chantier.

Le secteur de la construction bruxelloise peine à retrouver le dynamisme d’avant la crise, ce qui a également un impact sur les volumes importés par les entreprises portuaires. Si aucune faillite d’envergure n’a été constatée lors des premières années de la crise, les entreprises de transport restent fragiles du fait des retards de paiement encore importants de leurs clients.

Les quelque 360 entreprises dénombrées pour la dernière fois en 2010 par Actiris et la Banque nationale de Belgique génèrent 5.645 emplois directs, majoritairement peu qualifiés, et 6.500 emplois indirects. Cela représente une valeur ajoutée directe de 680 millions d’euros et indirecte de 514 millions d’euros, soit une valeur ajoutée totale de plus de 1,2 milliard d’euros produite par les activités portuaires bruxelloises.

L’actualisation de l’étude en cours, dont les résultats sont prévus pour le début de 2016, permettra de comparer ces données de 2008 à la situation actuelle. Nous aurons l’occasion d’en reparler.

Le Port de Bruxelles travaille depuis longtemps à la promotion de l’emploi portuaire à Bruxelles et de l’emploi des Bruxellois dans les entreprises portuaires. Citons quelques exemples :

– la prise en considération, depuis de très nombreuses années déjà, du nombre d’emplois créés dans les critères d’attribution des concessions portuaires ;

– la possibilité pour les entreprises concessionnaires de demander une prime pouvant s’élever jusqu’à 6.000 euros pour le recrutement de personnel peu qualifié ;

– la participation du port à la création du centre de référence professionnelle bruxellois pour les métiers du transport et de la logistique, Iris-TL, avec lequel il collabore à la formation et à la mise à l’emploi des Bruxellois peu qualifiés. Le rôle du port y est notamment de contribuer à faire coïncider les formations dispensées avec les besoins des entreprises portuaires ;

– la promotion auprès des entreprises portuaires, en direct ou via leurs organes représentatifs, des services de formation et de mise à l’emploi des Bruxellois offerts par le port et les autres instances régionales et locales ;

– l’étude d’Actiris sur le poids socio-économique des entreprises implantées sur le site du Port de Bruxelles, publiée pour la première fois en 1998 et qui en est actuellement à sa cinquième actualisation. Elle a permis de mieux connaître les activités portuaires et de les faire correspondre avec le potentiel d’emploi des Bruxellois. C’est là que réside l’enjeu majeur : faire profiter prioritairement les Bruxellois de cette plus-value économique.

Conformément à l’article 27 de son contrat de gestion 2013-2018, intitulé « développement de l’emploi », le Port de Bruxelles a renforcé sa longue collaboration avec Actiris au travers de la conclusion de deux conventions de partenariat visant à augmenter la mise à l’emploi des Bruxellois :

– une convention en tant qu’organisme d’intérêt public, approuvée par le conseil d’administration du port le 23 mars 2014, dans laquelle le port s’engage à recruter ses contractuels via Actiris et à participer aux initiatives d’Actiris tant dans la mise à l’emploi que dans la promotion de la diversité au travail. Il est à noter que le port a déjà accueilli 77 jeunes dans le cadre d’une convention de premier emploi (CPE) et 4 dans le cadre de la garantie jeunes ;

– une convention en tant qu’organisme de développement économique, approuvée par le conseil d’administration du port le 19 décembre 2014, qui vise à la promotion de l’emploi bruxellois auprès des concessionnaires du port et à la conclusion de conventions de partenariat entre Actiris et les entreprises portuaires.

Par ailleurs, et comme mentionné au point précédent, le port participe activement, depuis sa création, aux activités d’Iris-TL : représentation au conseil d’administration d’Iris-TL, projets communs de connaissance du marché, de mise sur pied et adaptation de formations, de promotion, veille technico-pédagogique, etc.

Enfin, concernant les acteurs locaux, le port participe, dans la mesure de ses possibilités, aux initiatives prises par les acteurs communaux, avec notamment l’installation d’un programme de formation de l’antenne locale de la Ville de Bruxelles dans un bâtiment du port au bassin Béco.

Enfin, le taux moyen d’emploi par superficie occupée au port est de 35 emplois par hectare, soit un chiffre inférieur au quota de citydev.brussels mais élevé au regard du type d’activités présentes sur le domaine portuaire : transport, entreposage et logistique, commerce de gros… Cela s’explique par le fait que, dans un contexte urbain, les mètres carrés, plus rares et plus chers, doivent être exploités au mieux.

La même logique prévaut pour le transport par voie d’eau : Bruxelles est dans le haut du classement des ports intérieurs européens en termes de rentabilité « voie d’eau ». Ces chiffres doivent nous encourager à poursuivre dans cette voie et à considérer que le Port de Bruxelles représente évidemment un potentiel important pour le développement économique de notre Région. La voie d’eau, c’est donc le Plan canal à propos duquel nous aurons encore l’occasion de débattre. M. Van Goidsenhoven, je compte sur vous pour revenir régulièrement sur ce sujet.

M. Gaëtan Van Goidsenhoven (MR).- Merci pour la précision de ces données. Pendant trop longtemps, la zone du canal a été une zone de relégation. Malheureusement, un certain nombre de fonctions de relégation y ont remplacé ses fonctions économiques originelles.

Dans le cadre d’un projet qui doit intégrer au plan urbanistique la zone du canal tout en lui permettant de retrouver son utilisation optimale, les trois éléments qui doivent guider l’implantation d’activités sont l’intégration urbaine, l’emploi et l’usage de la voie d’eau, qui fait encore souvent défaut à un certain nombre d’activités présentes à proximité du canal.

Vous avez dévoilé le chiffre de 35 emplois en moyenne par hectare. J’imagine que ce chiffre doit être encore amélioré, même s’il vous semble satisfaisant. Je ne doute pas, vu votre volonté de maîtriser le foncier et l’usage des terrains à proximité de la voie d’eau, que vous serez très attentif à privilégier les activités les plus porteuses en termes d’emploi.

Vous n’avez cependant pas répondu à une demande formulée dans ma question : êtes-vous en mesure de nous préciser le tonnage escompté pour 2014 ?

M. Rudi Vervoort, ministre-président.- Je dois vérifier. Si nous avons le chiffre, nous vous le transmettrons.

M. Gaëtan Van Goidsenhoven (MR).- Il me semble important de remettre cette donnée en perspective avec les effets de la crise, qui a engendré une baisse relativement significative des activités.

M. Rudi Vervoort, ministre-président.- Nous vous communiquerons l’information.

 

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CRI COM (2014-2015) n°137, Juillet 2015, pp. 22-31