PROPOSITION D’ORDONNANCE
visant les monuments classés et les oeuvres d’art qui ont un lien historique, culturel ou architectural avec Bruxelles
Proposition déposée par : MM. Olivier de Clippele, Alain Destexhe, Gaëtan Van Goidsenhoven, Vincent De Wolf
Développements
La plupart des pays européens ont adopté des législations relatives à la protection des biens culturels mobiliers et immobiliers. Ces réglementations varient selon les Etats et comportent généralement des règles relatives à l’exportation, à l’existence d’un droit de préemption au profit de l’Etat, au déplacement du bien ou à son classement, aux avantages fiscaux liés au classement d’un bien, etc.
C’est notamment le cas de la Belgique où ce sont désormais les Régions qui assurent la protection du patrimoine immobilier, à savoir les biens qui en raison de leur intérêt historique, archéologique, artistique, esthétique, scientifique, social, technique ou folklorique sont considérés « comme un élément important du patrimoine de la Région, témoin de son histoire, qu’il importe de préserver pour les générations futures ».
Quant aux biens culturels mobiliers, il appartient aux Communautés d’assurer la défense et la conservation de ceux qui présentent un intérêt remarquable en raison de leur valeur historique, archéologique ou scientifique.
Toutefois, la question de savoir si les Communautés exercent une compétence exclusive en matière de patrimoine mobilier a connu une évolution récente.
L’arrêt du Conseil d’Etat du 2 février 20113 a ainsi étendu cette compétence aux Régions puisqu’il a confirmé un arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 9 novembre 2006 par lequel certains objets mobiliers étaient classés comme monument.
Dans cette affaire, un élément déterminant était le fait que ces objets mobiliers se trouvaient de longue date dans un bâtiment classé (Le Palais Stoclet).
Le Conseil d’Etat considère que l’article 206, 1°, a, du Code bruxellois de l’aménagement du territoire permet de classer comme monuments des meubles et objets qui, par leur nature et leur conception, sont tellement attachés à un monument dont ils contribuent à déterminer la valeur artistique, que, pour être complète, la protection comme monument doit s’étendre à ces objets, quand bien même ils ne sont pas des immeubles par destination au sens du Code civil.
Le Conseil d’Etat a également reconnu la compétence de la Région pour légiférer en matière de protection du patrimoine mobilier, dans la ligne de ce que la Cour constitutionnelle avait déjà jugé par son arrêt du 17 mars 2010.
Il est utile de rappeler que le décret de la Communauté flamande du 24 janvier 2003, communément appelé Topstukkendecreet, s’applique à une liste limitative de biens culturels. Établie par le Conseil de conservation du patrimoine culturel mobilier, le Topstukkenraad, la liste comprend tant des biens issus du secteur privé que du secteur public, même si l’accent est placé sur les collections privées. Outre la liste visée à l’article 3, § 1er du décret, le décret permet également de protéger les biens culturels mobiliers qui font partie intégrante des biens immobiliers et sont déjà protégés par le décret de 19766 . Cette protection accessoire fut décidée en vue d’accorder une plus grande cohérence au régime des biens culturels, à l’image d’un « bon père de famille ».
Pour être repris sur la liste, les biens culturels doivent satisfaire au double critère de rareté et d’indispensabilité.
Ainsi par exemple, les autorités flamandes ont racheté à un propriétaire privé « Les Bains à Ostende » du peintre belge James Ensor, qui entre dans la possession du Musée des Beaux-Arts d’Anvers après un prêt de cinq ans au Musée des Beaux-Arts de Gand. Cet achat fut opéré sur la base dudit décret au prix de 1,3 million d’euros.
A Bruxelles, on constate qu’un nombre non négligeable d’œuvres d’art quitte son territoire. Cette perte considérable pour le patrimoine culturel s’explique en partie en raison des taux élevés des droits de succession qui grèvent les œuvres d’art.
Ainsi, de nombreux propriétaires se voient contraints de vendre au plus offrant des biens afin de pouvoir s’acquitter des droits de succession. Il faut savoir que les prix atteints sur le marché de l’art sont considérables, surtout dans certaines salles de ventes à Londres ou à New York, si bien d’ailleurs qu’il devient de plus en plus difficile de conserver des ensembles mobiliers.
De plus, la valeur financière du patrimoine mobilier situé à l’intérieur de l’immeuble dépasse souvent celle de l’architecture à laquelle il est rattaché. C’est pourquoi il faut une attention particulière pour cette problématique, car les propriétaires sont confrontés à un dilemme lorsqu’ils constatent le déséquilibre entre la valeur de leurs œuvres d’art et la valeur du reste de leur patrimoine.
A cela s’ajoute le fait que la dation en paiement, telle que prévue actuellement dans le Code des droits de succession , place les héritiers devant un choix difficile dans la mesure où les œuvres qui font l’objet de la dation en paiement sont passibles de droits de succession à leur valeur réelle. C’est pour cette raison que la dation en paiement rencontre peu de succès.
Afin de remédier à cette situation, les auteurs de la présente proposition d’ordonnance souhaitent exonérer des droits de succession, les œuvres d’art qui sont considérées comme remarquables pour l’histoire, la culture ou l’architecture de la Région de Bruxelles-Capitale et qui figureraient dans un inventaire établi sur une base consensuelle.
Ces dispositions permettraient de maintenir à Bruxelles une partie du patrimoine culturel belge. Ce système s’inscrit dans la même perspective que la dation d’œuvres d’art en paiement des droits de succession, qui permet à l’Etat belge de garder dans ses musées des œuvres d’art majeures ou de renommée internationale.
L’exonération fiscale des biens culturels en cas de mutation ou de succession n’est pas une nouveauté en soi. De nombreux pays européens prévoient un tel système.
Ainsi, en France, « les héritiers, légataires ou donataires d’un immeuble classé ou inscrit et des biens meubles qui en constituent le complément bénéficient d’une exonération totale de ces droits s’ils concluent avec l’Etat une convention d’ouverture au public des lieux pour une durée fixée par décret ».
De même, la Grande-Bretagne, grâce à un système habile de déduction fiscale, a su protéger son patrimoine. Ainsi, tout bien changeant de propriétaire, par donation ou succession, est redevable de droits sur les mutations de capital ou de succession, mais la loi britannique a prévu un système qui permet de surseoir au paiement de ces droits si l’administration fiscale estime que les immeubles concernés présentent un intérêt historique ou architectural exceptionnel, et que le mobilier présente un intérêt national, artistique ou scientifique. En échange, le propriétaire du bien s’engage à veiller à l’entretien du bien et à en permettre l’accès. Les biens doivent également rester sur le territoire britannique.
Dans le même ordre d’idées, en Autriche, si le bien culturel fait partie d’une collection scientifique, des avantages fiscaux sur les droits de succession peuvent être accordés à certaines conditions.
Base légale
En droit interne européen : toute proposition qui vise à restreindre la libre circulation des biens doit être vérifiée au regard des articles 34 et suivants du traité fondamental de l’Union Européenne (TFUE).
L’article 34 TFUE énonce le principe général de libre circulation des biens dans l’Union européenne, mais ce principe général souffre des exceptions dont celle qui permet aux Etats membres de limiter l’exportation de leurs trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique.
Le traité ne donne pas de définition précise de « trésor » et encore moins de « trésor national ». Il est en effet possible que la facture d’une œuvre trouve son origine dans un pays mais que sa renommée soit liée à un autre pays.
La directive européenne 93/7/CEE nous rappelle qu’il appartient aux Etats membres de définir leurs trésors nationaux en indiquant que les biens suivants sont susceptibles de constituer des trésors nationaux :
– des biens figurant sur les inventaires des musées, des archives et de fonds de conservation des bibliothèques ;
– des tableaux, des peintures des sculptures ;
– des livres ;
– des moyens de transport ;
– des archives.
Il appartient aux Etats membres de définir les biens qui relèvent de la catégorie de « trésor national » par leur valeur artistique, historique ou archéologique.
Pour les immeubles classés, la question ne se pose pas puisqu’ils sont immobilisés.
En droit interne belge : en vertu de l’article 3, alinéa 1er, 4º, de la loi spéciale relative au financement des Communautés et des Régions du 16 janvier 1989, les droits de succession et de mutation par décès sont des impôts régionaux.
En vertu de l’article 4, § 2, de cette même loi, « les Régions sont compétentes pour modifier le taux d’imposition, la base d’imposition et les exonérations de l’impôt visé à l’article 3, alinéa 1er . ».
Les Régions sont donc compétentes pour déterminer la base d’imposition, le taux d’imposition et les exonérations. La présente proposition d’ordonnance relève dès lors de la compétence de la Région de Bruxelles-Capitale.
De plus, le Conseil d’Etat a étendu la compétence en matière de protection du patrimoine mobilier à la Région de Bruxelles-Capitale, dans la ligne de ce que la Cour constitutionnelle avait déjà jugé par son arrêt du 17 mars 2010 (voir supra).
Commentaire des articles
Article 2
Il est proposé de suivre la même procédure que celle pour la dation en paiement. Sauf que la procédure d’inscription sur la liste de classement des objets mobiliers peut être activée à la demande du propriétaire de l’œuvre d’art. La demande d’inscription sur la liste dont question à l’article 3 peut déjà être faite avant le décès par le propriétaire à condition que le ou les demandeurs détiennent un droit de propriété complet sur les biens en question.
Article 3
Il appartiendra au gouvernement de fixer la procédure pour l’inscription sur la liste ainsi que sa publicité. Il est souhaitable que pour des raisons de confidentialité et de prévention contre le vol, cette liste d’objets d’art ne soit pas publiée au Moniteur belge.
Le gouvernement fixera également les conditions de conservation, ce qui implique qu’une fois que ces biens se trouvent sur la liste de protection, ils ne pourront plus être déplacés en dehors de la Région sans l’accord du gouvernement. Le gouvernement fixera les mesures de contrôle de cette interdiction.
Il existera ainsi des objets d’art qui font l’objet d’un arrêté de classement publié au Moniteur belge, des objets d’art qui font l’objet d’une protection en vertu de la présente ordonnance et des immeubles classés en vertu d’un arrêté de classement publié.
Article 4
Rien n’empêche l’entrée en vigueur immédiate de l’ordonnance pour ce qui concerne les immeubles classés. Pour le mobilier, il faudra nécessairement attendre l’arrêté du gouvernement.
Par « arrêté analogue », il faut comprendre toute mesure officielle, publiée au Moniteur belge, qui vise les mêmes effets que le classement, ce qui permet également l’exonération des monuments qui font l’objet d’une mesure de sauvegarde analogue à celle du classement.
En outre, pour se conformer à la réglementation européenne qui exclut la discrimination, tout bien classé situé en dehors de Bruxelles pourra faire l’objet de la présente proposition, à condition qu’il soit situé dans l’Union européenne.
En outre, de nombreux biens immobiliers ne sont classés que partiellement, de sorte qu’il était indispensable de fixer une règle de proportionnalité pour l’exonération.
Olivier de CLIPPELE
Alain DESTEXHE
Gaëtan VAN GOIDSENHOVEN
Vincent DE WOLF
Pour retrouver la proposition dans son intégralité, cliquez ici.
A-156/1 – 2014-2015, Mai 2015, 9 p.