Interpellation sur le taux de pauvreté infantile à Bruxelles

Interpellation de Monsieur Gaëtan VAN GOIDSENHOVEN, Député, adressée à Madame Céline FREMAULT, Ministre du Collège de la Commission communautaire française, en charge de l’Aide aux personnes handicapées, de l’Action sociale, de la Famille et des Relations internationales,

concernant le taux de pauvreté infantile à Bruxelles

M. Gaëtan Van Goidsenhoven (MR).- Ce sujet n’est pas éloigné du précédent. J’avais déjà profité de l’occasion des budgets pour rappeler les situations de précarité persistant dans un grand nombre de ménages bruxellois. Voyant les besoins s’accroître et l’incapacité d’y répondre favorablement, je m’interroge à nouveau sur les stratégies que déploie la Commission communautaire française pour tenter d’y remédier.

Dans la presse, le 1er février, nous pouvions découvrir une étude réalisée par l’École de santé publique de l’Université libre de Bruxelles relative à la précarité infantile et soutenue par la Fondation Roi Baudouin. Loin de s’apparenter à de vagues estimations ou approximations, les chiffres communiqués sont le fruit d’une analyse minutieuse de données issues du recensement des naissances de 2004 à 2010 à Bruxelles.

Cette étude a le mérite de mettre en lumière certaines réalités. Premièrement, à Bruxelles, plus de quatre bébés naissent sous le seuil de pauvreté, contre deux sur dix pour la moyenne nationale. En d’autres termes, 43% des enfants naissent dans des ménages qui enregistrent des revenus inférieurs à 867 euros par mois lorsque ce sont des familles monoparentales.

Deuxièmement, l’étude identifie d’autres facteurs de risques liés à la précarité qui pourraient déboucher sur de nouvelles pistes de réflexion pour le Collège sur les opportunités à saisir pour améliorer la situation des familles ou, du moins, les priorités à exécuter dans l’urgence pour les mères célibataires avec un faible niveau d’instruction et peu de revenus. L’étude évoque la position précaire des familles monoparentales, le taux d’emploi des femmes après l’accouchement – qui passe de 47,8% à 43,6% -, la vulnérabilité socio-économique des femmes enceintes ou les mères célibataires, le nombre de nouveau-nés – soit un sur six – naissant dans des familles monoparentales à Bruxelles, etc.

Il apparaît aussi que 7% des mères bruxelloises ont recours à l’aide des CPAS.

Le Service public de programmation Intégration sociale (SPP IS) et le Vrouwenraad ont lancé conjointement le projet Miriam porté par cinq CPAS, dont celui de Molenbeek. Démarré en automne 2015, il vise à accompagner les personnes vulnérables, en particulier les mères célibataires ayant des enfants de moins de 10 ans, en leur apportant un soutien personnalisé. Cette année, le public ciblé est celui des familles monoparentales dont les enfants n’ont pas atteint l’âge de 6 ans. La plupart des femmes qui ont bénéficié de ce projet ont réussi à retrouver un emploi.

Le Collège de la Commission communautaire française envisage-t-il d’œuvrer dans la même direction en soutenant de telles initiatives ou de dupliquer le projet Miriam ?

La Commission communautaire française est une institution essentielle dans l’accompagnement des personnes, qu’il s’agisse de primo-arrivants, de jeunes enfants, de personnes subissant des violences conjugales ou de familles monoparentales. Cette étude met, pour sa part, à jour des chiffres qui restent alarmants et nous rappelle les efforts qu’il reste à déployer dans l’accompagnement des personnes les plus vulnérables, à savoir les mères célibataires, sans qualification et à faibles, voire très faibles revenus. 

[Intervention de Madame Moureaux]

[Intervention de Madame Geraerts]

Mme Céline Fremault, ministre.- Nous avons analysé attentivement les résultats de l’étude menée par l’Université libre de Bruxelles (ULB) et la Fondation Roi Baudouin qui ont fait l’objet d’une présentation en début de semaine.

Ses principaux constats ne sont malheureusement pas neufs. Ils renforcent ce que l’Observatoire de la santé et du social de Bruxelles-Capitale avait déjà fait ressortir dans ses rapports consacrés à la précarité chez les femmes et aux jeunes Bruxellois. Ils corroborent aussi une série d’enseignements que l’on peut tirer de nombreuses études scientifiques sur la problématique de la monoparentalité. Je pense notamment à l’analyse du professeur Wagener, de l’Université catholique de Louvain (UCL), qui a suivi pendant plus de deux ans un échantillon de 55 ménages monoparentaux bruxellois.

La pauvreté infantile est un phénomène qui touche Bruxelles significativement. Cette situation est imputable à plusieurs facteurs. Il s’agit d’un phénomène urbain, qui touche aussi les principales villes wallonnes, Bruxelles connaissant des flux migratoires importants et donc une pauvreté des enfants découlant en cascade de celle des ménages.

En second lieu, il faut tenir compte de la structure démographique de notre Région, qui présente une concentration de jeunes familles au sein d’un périmètre appelé « croissant pauvre ». Notons que le taux de fertilité dans les ménages du croissant pauvre est plus élevé qu’ailleurs, et que le taux de pauvreté y est particulièrement important. La composition des ménages est un facteur aggravant. Les ménages monoparentaux sont particulièrement vulnérables et le risque de vivre dans la pauvreté y est très important.

Quelles politiques mener pour remédier au problème ? Soulignons d’abord que la question de la pauvreté infantile est, avant toute chose, en lien avec les revenus des ménages. Les enfants ne naissent ni riches, ni pauvres, mais dans un ménage riche, de classe moyenne ou pauvre. La première arme de lutte contre la pauvreté est donc celle, classique, du soutien aux revenus les plus faibles par des moyens traditionnels de protection sociale ou d’allocations.

La question de la pauvreté infantile nous renvoie évidemment à celle de la réforme du système d’allocations familiales. Nous avons commandé une étude pour déterminer un modèle qui corresponde au mieux aux spécificités. Je souhaite que les allocations familiales restent un soutien à la parentalité et ne soient pas instrumentalisées pour financer d’autres politiques. C’est d’ailleurs l’une des recommandations émises par l’organe d’avis de la Commission nationale des droits de l’enfant.

Dans ce cadre, les publics fragilisés vont faire l’objet d’une attention particulière et c’est le cas des familles monoparentales.

Je souhaite aussi une évolution qui intègre le coût de l’enfant, ce qui implique de tenir compte de l’âge ou d’une affection physique ou mentale.

L’étude de la Fondation Roi Baudouin et de l’Université libre de Bruxelles (ULB) souligne la problématique de la monoparentalité, une question qui se trouve au centre de notre attention. Trois projets sont menés dans le cadre des compétences en action sociale :

– la création d’une maison d’accueil dépendant de la Commission communautaire française pour les ménages monoparentaux ;

– le lancement d’une plate-forme collaborative d’échanges de services entre ménages monoparentaux. C’est un projet financé en Commission communautaire commune et porté par une organisation composée de parents seuls, qui a pour objectif de mutualiser l’aide pour resserrer les liens de solidarité. Par exemple, on échange des cours de mathématiques contre du babysitting, du matériel scolaire contre des courses avec un véhicule équipé… L’inauguration de cette plate-forme est prévue en mars ;

– le coaching des parents en difficulté. Je vous ai également parlé du l’asbl Le Petit Vélo jaune, dont les contenus ont été explicités.

Le projet Miriam, que vous mentionnez, est extrêmement intéressant. Il concerne 50 ménages monoparentaux sur l’ensemble du pays, dont dix sont suivis par le CPAS de Molenbeek. C’est un projet pilote visant à l’autonomisation aussi bien professionnelle que sociale des mères célibataires d’enfants en bas âge – soit de moins de dix ans -, financée par le Service public de programmation Intégration sociale (SPP IS), et dont l’impact est évalué par la Haute École Karel de Grote d’Anvers. Ce projet a été lancé en 2015, et nous attendons les résultats de son évaluation pour traduire ces conclusions en objectifs d’actions à mener.

Un trait commun aux différents projets doit être souligné : toutes ces actions ne se limitent pas à viser l’inclusion économique des ménages, mais également la problématique de l’isolement social et du repli sur soi des ménages monoparentaux. C’est une dimension très importante du travail mené avec ces familles. La principale source d’exclusion sociale est le manque de lien social et le retrait de la sphère publique, qui se traduit par une situation d’isolement néfaste et donc une plus grande précarité et une plus grande dépendance.

Les conditions de vie matérielles sont importantes et ne doivent pas être négligées mais – et toutes les études le disent – le principal enjeu est la rupture des situations d’isolement. Pour cette raison, tous les projets que nous menons doivent viser la revalorisation des parents isolés et leur inclusion dans une série de réseaux de proximité et de solidarité. C’est aussi à ce niveau qu’on contribuera à la lutte contre la pauvreté infantile à Bruxelles.

En conclusion, je souligne que l’ensemble des politiques transversales relatives à la pauvreté ont été intégrées dans le Plan d’action bruxellois de lutte contre la pauvreté, lequel fera l’objet d’une table ronde au sein de cet hémicycle, le 29 mars prochain. J’espère que les députés bruxellois y seront en nombre.

M. Gaëtan Van Goidsenhoven (MR).- J’entends que la ministre juge le projet pilote Miriam très intéressant et qu’elle en attend les résultats pour le traduire en actions de terrain. Je perçois un certain volontarisme de sa part. Le problème est tellement présent en Région bruxelloise qu’il exige un travail long et fastidieux. Certes, la Commission communautaire française n’est pas seule à devoir s’y atteler, mais elle a vraiment sa pierre à apporter à l’édifice.

 

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CR n°45 (2016-2017), Février 2017, pp. 20-22