Proposition de décret portant interdiction du port de signes convictionnels ostentatoires au sein des services du Collège de la Commission communautaire française et des organismes d’intérêt public qui en dépendent

PROPOSITION DE DÉCRET PORTANT INTERDICTION DU PORT DE SIGNES CONVENTIONNELS OSTENTATOIRES AU SEIN DES SERVICES DU COLLÈGE DE LA COMMISSION COMMUNAUTAIRE FRANÇAISE ET DES ORGANISMES D’INTÉRÊT PUBLIC QUI EN DÉPENDENT

Proposition déposée par : M. Gaëtan VAN GOIDSENHOVEN, Mme Françoise BERTIEAUX, MM. Alain COURTOIS, Boris DILLIÈS, Willem DRAPS et Mme Dominique DUFOURNY

Développements

Vivre ensemble

Les problématiques de l’intégration et du choix d’un modèle de société reviennent régulièrement dans l’actualité, à travers différents sujets comme le port du voile à l’école, les violences dans les quartiers en difficulté ou le statut de la femme dans certaines communautés.

Ces questions relatives au « vivre ensemble » se posent avec de plus en plus d’insistance et d’acuité. Trop longtemps, le débat a été encommissionné. Trop souvent d’aucuns ont vilipendé, au nom du politiquement correct, celles et ceux qui doutaient de la pertinence des politiques d’intégration menées jusqu’alors. Nous pensons, au contraire, que le politique doit poser un choix clair quant au modèle de société.

La présente proposition s’inscrit dans ce cadre et prolonge des précédentes initiatives parlementaires, déposées en 2009, dans la foulée de nos « Assises de l’interculturalité ».

Si certains États se sont construits autour du principe « un peuple, une religion, une langue », force est de constater que ce modèle n’est pas celui autour duquel s’est structuré notre société. Force est également de constater qu’il ne permet plus à l’heure actuelle de répondre aux défi s inhérents à la nouvelle composition des États contemporains. Plus encore qu’hier, l’accélération des mouvements sociaux et migratoires, de même que l’intégration toujours accrue de nos sociétés dans un monde globalisé, condamne l’État « monoculturel » : s’y substitue un nouveau modèle que certains qualifient déjà de « post moderne », au sein duquel coexistent plusieurs cultures, plusieurs langues et plusieurs religions.

Porteuse de richesse, cette diversité peut également entraîner un phénomène de radicalisation identitaire. Cette radicalisation est d’autant plus dangereuse qu’elle entraîne en un second temps, un rejet, une stigmatisation de l’autre et, poussé à son paroxysme, un affrontement des différences. Si la diversité culturelle constitue avant tout une chance pour tous, elle se doit d’être accompagnée, par les pouvoirs publics, vers les chemins d’un « vivre ensemble » respectueux de tous et de chacun.

La réalité pluriculturelle de notre société fait émerger des sensibilités nouvelles et, partant, appelle des réponses à des questions nouvelles, en lien notamment avec la prise en compte des différences culturelles, philosophiques et religieuses dans la sphère publique. Refuser cette réflexion ne participerait qu’à entretenir les incompréhensions et les peurs mutuelles. En notre qualité de mandataires politiques, il nous appartient de poser des choix de société clairs et de participer concrètement à leur mise en œuvre.

À cet égard, deux modèles de société s’offrent à nous.

Le multiculturalisme, tout d’abord, envisage l’individu essentiellement comme le membre d’une communauté caractérisée par une culture, une religion, une origine ethnique. Ce courant se fonde généralement sur le relativisme culturel et les accommodements raisonnables, c’est-à-dire l’affirmation inconditionnelle de l’équivalence des systèmes de pensée et la justification de la différenciation des droits.

Nous ne souscrivons pas à ce modèle et ce, pour deux raisons. D’une part, il ne rencontre pas notre projet d’une société conçue comme un ensemble cohérent : on y revendique sa différence avant d’y revendiquer sa participation à un modèle commun. Il s’ensuit une accentuation des différences identitaires menant, in fine, au communautarisme, à une forme de « babelisation » du vivre ensemble, ainsi qu’à l’émergence de castes légales. Ce « droit à l’isolement » génère la méconnaissance mutuelle, la peur de l’autre et des tensions sociales. D’autre part, cette parcellisation de la société et le « relativisme culturel » conduisent à des dérives qui sont la négation même des principes d’égalité et de libre choix. Ainsi, l’on ne peut admettre qu’un mari s’oppose aux soins que requiert l’état de santé de son épouse, au motif que le médecin est un homme ou que ses croyances lui interdisent telle pratique médicale. Au nom de l’application différenciée des droits, on ne peut refuser à une personne un droit fondamental.

À l’opposé de ce modèle, l’interculturalisme fait prévaloir l’individu sur ses attaches culturelles, philosophiques ou religieuses, les droits et les devoirs du citoyen ne sont pas fonction de ses affinités ni de ses origines ethniques. Ce modèle postule également qu’une société ne peut se construire et favoriser au mieux l’intégration de tous que si les citoyens partagent un patrimoine commun de valeurs fondamentales, tels que le droit à la vie, la liberté de conscience, la démocratie, l’égalité de l’homme et de la femme ou encore la séparation des Églises et de l’État. Ces valeurs, qui ont présidé à l’avènement des sociétés démocratiques, sont universelles : elles ne sont pas l’apanage d’une culture ou d’une époque.

Au contraire, elles s’imposent à tout État qui ambitionne l’émancipation de l’ensemble de ses membres. Ces valeurs sont notamment scellées dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, et dans ses Protocoles additionnels. Il revient à l’État de s’imposer comme le premier garant de ces valeurs et de les promouvoir au titre de patrimoine commun de l’ensemble de ses membres. Sensible aux évolutions qui traversent la société, il doit en permanence adapter son action afin de conférer à ce patrimoine commun de valeurs une effectivité toujours accrue.

Ce modèle ne postule pas l’indifférence de l’État à l’égard de la diversité des cultures. Au contraire, cette diversité sera valorisée par l’État pour autant que ces cultures s’inscrivent dans le respect des valeurs fondamentales.

Nous souscrivons à ce modèle.

Interdiction du port de signes convictionnels

L’exercice de la fonction publique doit être assuré dans le respect d’une stricte impartialité. À aucun moment, l’administré ne doit pouvoir considérer que ses droits et obligations sont conditionnés ou influencés par ses propres affinités cultuelles et philosophiques, ou par celles de son correspondant au sein de l’administration. Il s’ensuit que toute personne qui participe à l’exercice de l’administration doit refléter cette neutralité dans son attitude, son comportement et ses vêtements. La présente proposition entend ainsi confirmer le principe de neutralité en ce qu’il s’applique aux agents et préposés des pouvoirs publics.

En effet, la neutralité des pouvoirs publics est un principe constitutionnel qui, s’il n’est pas inscrit comme tel dans la Constitution même, est cependant intimement lié à l’interdiction de discrimination en général et au principe d’égalité des usagers du service public en particulier. Dans un État de droit démocratique, l’autorité se doit d’être neutre, parce qu’elle est l’autorité de tous les citoyens et pour tous les citoyens et qu’elle doit, en principe, les traiter de manière égale sans discrimination basée sur leur religion, leur conviction ou leur préférence pour une communauté ou un parti.

Le fait pour des agents des pouvoirs publics de porter des signes convictionnels peut susciter, auprès des usagers, le sentiment que ceux-ci n’exercent pas leur fonction d’une manière impartiale.

La présente proposition prend soin, dans ce cadre, de veiller au principe de proportionnalité entre, d’une part, la liberté d’expression et la liberté religieuse et philosophique garanties par la Constitution et, d’autre part, l’obligation de neutralité des pouvoirs publics, en ce qu’elle limite l’interdiction aux signes convictionnels ostentatoires.

Par ostentatoires, il est entendu les signes qui sont portés manière excessive ou indiscrète, avec ou sans intention d’être remarqué, mais conduisant à se faire manifestement reconnaître par ses convictions exposées, qu’elles soient politiques, philosophiques ou religieuses.

L’administration publique est un tout. Il ne peut, aussi, être question de distinguer les règles en vigueur pour les fonctionnaires selon qu’ils exercent leurs fonctions en contact ou non avec le public. D’une part, chaque fonctionnaire doit avoir la garantie que l’ensemble de ses collègues se consacre à l’exécution de leurs fonctions dans le même esprit d’impartialité que lui et qu’une égalité de traitement existe entre les membres d’un même service, d’une même entité ou d’une même administration. D’autre part, les usagers des pouvoirs publics doivent avoir le sentiment que l’impartialité des agents des pouvoirs publics existe dans l’exercice de chacune des fonctions exercées, que celles-ci nécessitent ou non un contact avec le public.

On ajoutera qu’une éventuelle distinction entraînerait des difficultés disproportionnées en termes d’organisation tant pratique que juridique, dans la mesure où, d’une part, les agents ne se cantonnent pas nécessairement à un lieu clos et dans le cadre de leurs fonctions, il est fréquent que ceux-ci se déplacent dans les locaux et rencontrent des usagers et, d’autre part, qu’une éventuelle distinction imposerait une réglementation différente au sein d’un même service ou d’une même entité. Enfin, quoique n’exerçant pas une fonction nécessitant, de prime abord, un contact avec le public, le seul fait que des contacts avec des usagers soient susceptibles d’avoir lieu, motive l’intention des auteurs de la proposition.

Dès lors, nous postulons l’interdiction, pour les agents de service public au sein des services du Collège de la Commission communautaire française, ainsi que des organismes d’intérêt public qui en dé- pendent, de l’expression de leurs convictions politiques, philosophiques ou religieuses dans l’exercice de leur fonction.

Décision judiciaire récente

Une décision du Tribunal de travail de Bruxelles rendue à l’encontre de l’organisme d’intérêt public Actiris est récemment intervenue à l’encontre du règlement de travail de celui-ci, en ce qu’il prévoyait que « Durant leurs prestations, les membres du personnel d’Actiris n’affichent leurs préférences religieuses, politiques ou philosophiques ni dans leur tenue vestimentaire, ni dans leur comportement. ».

Cette décision découle notamment du fait qu’un règlement de travail ne peut, par lui-même, se substituer au vote, en Région de Bruxelles-Capitale, d’une norme à portée législative limitant l’exercice de la liberté d’expression et de la liberté religieuse et philosophique, en vue d’atteindre l’objectif de neutralité des services publics que visait, par ailleurs, le règlement de travail.

La présente proposition répond à cette carence et à la décision judiciaire ci-avant évoquée.

PROPOSITION DE DÉCRET 

portant interdiction du port de signes convictionnels ostentatoires au sein des services du Collège de la Commission communautaire française et des organismes d’intérêt public qui en dépendent

Article 1er

Le présent décret règle, en vertu de l’article 138 de la Constitution, des matières visées aux articles 127 et 128 de celle-ci.

Art. 2

Pour l’application du présent décret, il faut entendre par :

Agent : tout membre du personnel des services du Collège de la Commission communautaire française et des organismes d’intérêt public qui en dé- pendent, qu’il soit, dans sa relation de travail, sous statut ou sous contrat de travail;

Signe convictionnel : tout vêtement ou accessoire exprimant une conviction ou une identité politique, philosophique ou religieuse;

Signe ostentatoire : tout signe porté de manière excessive ou indiscrète, avec ou sans intention d’être remarqué, mais conduisant à se faire manifestement reconnaître par ses convictions exposées.

Art. 3

Au sein des services du Collège de la Commission communautaire française et des organismes d’intérêt public qui en dépendent, il est interdit aux agents d’afficher ou de porter tout signe convictionnel ostentatoire dans l’exercice de leurs fonctions.

Art. 4

Le présent décret entre en vigueur le jour de sa publication au Moniteur belge.

Gaëtan VAN GOIDSENHOVEN
Françoise BERTIEAUX
Alain COURTOIS
Boris DILLIÈS
Willem DRAPS
Dominique DUFOURNY

Pour retrouver la proposition dans son intégralité, cliquez ici.
46(2015-2016) n°1, Janvier 2016, 8 p.

Pour retrouver la proposition discutée lors des débats en séance plénière, cliquez ici.
C.R. N° 27 (2015-2016), Janvier 2016, 42 p.