Interpellation sur la nécessité de développer un esprit d’entrepreneuriat culturel sur le sol de la Région bruxelloise

Interpellation de Monsieur Gaëtan VAN GOIDSENHOVEN, Député, adressée à Madame Fadila LAANAN, Ministre-Présidente du Collège de la Commission communautaire française, en charge du Budget, de l’Enseignement, du Transport scolaire, de l’Accueil de l’enfance, du Sport et de la Culture

concernant la nécessité de développer un esprit d’entrepreneuriat culturel sur le sol de la Région bruxelloise

M. Gaëtan Van Goidsenhoven (MR).- Les 28 et 29 août derniers s’est tenu le Brussels Creative Forum, un événement annuel créé il y a maintenant deux ans, et dont l’objectif est d’offrir un outil à la hauteur de la richesse culturelle bruxelloise et européenne.

Ce forum se veut un lieu d’échanges, participatif, ouvert à toutes et à tous. Il entend notamment informer et sensibiliser les acteurs culturels, les décideurs ou les élus, afin de participer au développement des secteurs culturels et créatifs à Bruxelles. C’est donc un rendez-vous important, quand on sait que chaque année, plus de 25.000 événements culturels et artistiques font vibrer notre capitale.

Cette année donc, parmi les nombreux débats et rencontres qui ont été organisés, un accent particulier a été mis sur le besoin de développer des projets culturels en partenariat avec des entrepreneurs. De nombreux acteurs de premier plan étaient présents lors de ce forum, actifs dans le secteur du mécénat, du développement professionnel des entreprises culturelles, notamment par la mise en place de partenariats entre institutions culturelles et entreprises privées.

Le message délivré par ces experts est intéressant, tout d’abord parce qu’il est sensiblement le même. En effet, tous s’entendent pour affirmer que le secteur culturel, à Bruxelles, mais aussi dans d’autres capitales culturelles en Europe, est un domaine d’avenir, appelé à fortement se développer, et donc à générer des activités susceptibles de connaître des retombées économiques positives pour les régions qui s’avéreront capables d’en exploiter le potentiel.

Si l’une des conditions requises pour qu’une Région ou une ville propose une offre culturelle intéressante est l’existence d’un patrimoine, nous pouvons être rassurés : Bruxelles dispose en effet d’un patrimoine culturel exceptionnel. Mais il en va autrement – il faut, hélas, le souligner – quand il s’agit de donner naissance à des projets culturels d’envergure dont nous pourrions revendiquer une certaine fierté.

J’en reviens donc aux recommandations formulées par les participants à ce Brussels Creative Forum : il faut mieux encourager les artistes et les former à développer leurs activités dans une optique entrepreneuriale. En d’autres termes, il faut que leurs activités soient reconnues et leur permettent d’en retirer un bénéfice. À ce propos, il est impératif que ces artistes soient bien entourés et bénéficient de conseils en matière de gestion et de développement de projets pour trouver des partenaires, des mécènes, des personnes ou des entreprises qui accepteront de les aider financièrement.

Le mécénat d’entreprise est devenu un système qui permet à des artistes d’exister, de se développer et de créer, sans pour autant leur demander de devenir de purs hommes d’affaires. Il semble important de les sensibiliser à l’existence de partenaires aguerris à ces activités, qui pourront les accompagner vers une activité artistique leur permettant de vivre de leur talent, plutôt que de subsides irréguliers, parfois étriqués et tributaires de budgets publics souvent difficiles à trouver.

L’ambition d’une telle approche est de faire prendre conscience à ces artistes des réalités du monde de l’entreprise, notamment dans le cas du mécénat. En résumé, il existe ici un potentiel particulièrement intéressant, qu’il convient de creuser.

En tant que ministre du Collège en charge de la Culture, comment accueillez-vous ces démarches, qui consistent à renforcer la sensibilisation et la familiarisation d’artistes au monde de l’entreprise dans le cadre d’actions de mécénat ?

En rapport avec l’ambitieux Plan culturel pour Bruxelles, dont nous parlons depuis la fin de la précédente législature et pour lequel on constate relativement peu d’avancées, avez-vous pu prendre des contacts avec différentes associations actives dans le domaine du mécénat ? Je pense notamment à l’asbl Prométhéa.

Avez-vous également pu aborder ce sujet dans le cadre de votre prise de contact avec les autres institutions régionales, notamment en ce qui concerne la mise en place d’un groupe de travail sur la culture, dont il a été question ici il y a quelques mois ?

Quelles initiatives ont-elles pu être mises en place afin d’informer et de sensibiliser les artistes sur les possibilités qui existent de se mettre en contact avec des entreprises et des associations spécialisées dans le secteur du mécénat, pour bénéficier de leur expertise ?

Enfin, le cas échéant, avez-vous déjà pu effectuer une estimation budgétaire de ces activités liées au mécénat ? Un calendrier a-t-il pu être fixé ?

Je pense que les artistes bruxellois méritent que leurs activités et leurs talents jouissent d’une visibilité et d’une reconnaissance à la hauteur de leur créativité et du rôle qu’ils doivent jouer dans notre société.

[Intervention de Madame Persoons]

[Intervention de Monsieur Fassi-Fihri]

Mme Fadila Laanan, ministre-présidente.- Je remercie M. Van Goidsenhoven pour son interpellation, car je constate qu’elle suscite un engouement certain de la part de ses collègues. Elle montre en outre l’intérêt de son auteur pour le secteur culturel bruxellois.

Comme vous, Monsieur Van Goidsenhoven, je salue l’initiative du Brussels Creative Forum, que je soutiens activement d’année en année. À l’issue de ce forum, vous attirez l’attention sur l’importance de mettre en réseau les acteurs culturels et le monde de l’entreprise, et vous soulignez la place des entrepreneurs culturels dans le tissu économique bruxellois. Vous évoquez également l’ampleur du patrimoine culturel de notre Région, tout en déplorant le manque d’événements bruxellois de grande envergure. Vous insistez enfin sur la nécessité de développer des partenariats privés, plutôt que publics, pour financer la culture.

Permettez-moi de réagir à ces affirmations. Il me faut distinguer la formation des responsables d’asbl culturelles, notamment en termes de gestion des industries culturelles et créatives. En effet, celles-ci relèvent pleinement du secteur économique et méritent notre soutien en raison de leur contribution à la dynamique urbaine bruxelloise. À cet égard, je vous invite à interroger mon excellent collègue en charge de l’Économie au sein du gouvernement bruxellois.

En 2010, à l’occasion de la présidence belge de l’Union européenne, la principale thématique mise à l’ordre du jour des rencontres des ministres de la Culture et de l’Audiovisuel fut celle des industries culturelles et créatives. Celles-ci sont en effet des partenaires de la production de richesses au sein d’une entité. Leur dimension économique représente une plus-value pour l’ensemble des entités européennes.

Plus de huit millions de personnes travaillent dans ce secteur, qui représente plus de 4% du produit intérieur brut (PIB) européen et qui dépasse ainsi celui de l’automobile en termes de production de richesse en Europe. C’est dire la plus-value que représente le secteur des industries culturelles et créatives dans toute entité.

Le secteur culturel, en revanche, relève plutôt des matières personnalisables et répond donc à une logique non marchande, même si je rejoins un certain nombre de collègues sur la nécessité de fournir des outils de gestion performants aux dirigeants d’asbl culturelles. Lorsqu’ils ne disposent pas de tels outils, ils gèrent en effet mal les structures dans lesquelles ils doivent travailler. Cela génère alors des coûts importants pour la collectivité.

J’émets par contre une réserve quant au fait de qualifier les subsides d’irréguliers ou d’inconséquents. Même si je suis convaincue de la nécessité de conjuguer des partenariats publics et privés, je pense que, sans la contribution des moyens publics, le secteur culturel et artistique serait dans l’impossibilité de se maintenir aujourd’hui. J’en veux pour preuve un autre secteur important en Belgique, dans lequel nous excellons : celui du cinéma.

Le secteur du cinéma bénéficie à la fois d’un soutien privé important – le tax shelter – et d’un soutien économique à travers Wallimage ou Bruxellimage. Le premier partenaire d’un film belge, c’est toutefois le soutien culturel qui est donné par le Centre du cinéma de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Sans cette aide publique visant la production et la création culturelles, aucun film ne peut se faire et il y a peu de chances que le dispositif économique ou que le dispositif de soutien privé puisse se réaliser. En effet, le film n’existerait pas !

Vous déplorez le manque d’événements d’envergure à Bruxelles. Si vous interrogez mon excellent collègue, le ministre-président de la Région bruxelloise, il pourra vous donner une liste conséquente des moyens affectés au dispositif dédié à l’image de Bruxelles, ainsi que de tous les événements et de toutes les manifestations qui vous prouveront la richesse, le dynamisme et l’extraordinaire effervescence culturelle qui caractérisent notre Région bruxelloise.

Concernant la politique du mécénat culturel, je suis favorable aux partenariats public-privé, sans pour autant vouloir privatiser le financement de la culture et du secteur culturel.

Vous me questionnez à propos de l’asbl Prométhéa, qui organise un mécénat d’entreprise pour les secteurs du patrimoine et de la culture. Je vous informe que Prométhéa est soutenue tant par la Fédération Wallonie-Bruxelles, pour la partie culture, que par les Régions wallonne et bruxelloise pour l’aspect lié au patrimoine. Bien que l’asbl ne soit pas directement soutenue par le gouvernement francophone bruxellois, un contact a été pris avec elle à l’issue du Brussels Creative Forum afin d’identifier les axes d’intervention éventuels pour les projets culturels que nous défendons.

La sensibilisation des artistes soutenus par la Commission communautaire française ne pourra s’effectuer qu’au terme de cette rencontre. Sachez toutefois que Prométhéa organise déjà des formations proactives de sensibilisation au mécénat à destination du secteur culturel. L’enjeu du mécénat à proprement parler n’a pas été abordé dans le cadre du groupe de travail sur la culture qui doit être créé. Celui-ci est piloté par le ministre-président de la Région bruxelloise, qui a déjà entamé des démarches actives auprès des ministres concernés, afin d’aboutir au modèle de structure le plus performant et le plus conforme aux enjeux culturels bruxellois.

Je précise que le mécénat culturel n’est pas un des domaines les plus proactifs. Il est vrai qu’il y a eu peu d’évolutions au niveau fédéral afin d’amender le dispositif et d’inciter le secteur privé à soutenir des activités, des productions ou des événements culturels.

De la même manière, en ce qui concerne le tax shelter, cela fait plus de dix ans que le ministre des Finances de l’époque a annoncé qu’il comptait l’élargir au secteur culturel. Cela n’a malheureusement pas été réalisé et le tax shelter est resté circonscrit au domaine du cinéma. Il ne permet donc pas de réaliser de grandes productions dans les autres domaines culturels.

Je suis une fervente partisane du partenariat public-privé. En effet, bien souvent, aucun projet ne peut être réalisé sans aide publique. Continuons à mettre en valeur la capacité de rayonnement que peut avoir notre culture lorsqu’elle est soutenue, à la fois par des moyens publics et par le secteur privé.

M. Gaëtan Van Goidsenhoven (MR).- Je me réjouis tout d’abord d’avoir suscité un débat que certains collègues semblent juger important. Je les remercie d’avoir alimenté utilement la réflexion.

Nous sommes tous d’accord pour relever qu’un certain nombre d’acteurs culturels ne disposent pas de la formation adéquate pour gérer le plus efficacement possible leur institution culturelle, et ce, au risque de commettre un certain nombre d’erreurs, voire de mettre en danger des offres culturelles importantes dans notre ville-région.

Afin d’éviter tout malentendu, je tiens à souligner que nous ne voulons évidemment pas un désinvestissement financier de la part de l’autorité publique. Nous souhaitons cependant insister sur l’existence de possibilités de financements alternatifs : mécénat, partenariats avec le secteur privé, etc.

Sensibiliser, informer, former les acteurs culturels,… Il y a encore énormément de pain sur la planche. Le financement alternatif est, selon nous, l’une des solutions qui permettront de diversifier et de renforcer l’offre culturelle dans notre ville-région. Cette offre doit non seulement rayonner en interne, mais également à l’extérieur de nos frontières de capitale belge et européenne, et de ville ouverte sur le monde.

J’entends avec intérêt que Mme la ministre-présidente est partisane d’un partenariat public-privé renforcé. Au-delà des engagements, des ambitions et des discours, j’attends que nous puissions, ensemble je l’espère, aboutir à des réalisations qui, comme le forum l’a souligné, favoriseront l’offre culturelle et le développement de l’économie créative dans une ville-région qui en a plus que jamais besoin.

 

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CR n°21 (2015-2016), Octobre 2015, pp. 8-11