De la véranda au lotissement, de la division de parcelle à la lucarne dans votre grenier, des milliers de demandes de permis sont concernées par la réforme du Code bruxellois de l’Aménagement du Territoire (Cobat). Discutée au Parlement bruxellois, la réforme du Cobat ne peut être votée en l’état : elle serait une disposition dangereuse pour notre patrimoine, une concentration des pouvoirs urbanistiques entre les mains du Gouvernement et, tout ceci, organisé dans la plus grande opacité grâce au nouvel outil (lequel, d’ailleurs, viendra supplanter tous les autres), le PAD (comprenez Plan d’aménagement directeur). Densifier nos parcelles bruxelloises? Sans doute mais pas à n’importe quel prix!
Ce sujet vous intéresse? Cliquez ici pour lire mon intervention dans l’article de l’Avenir dans son intégralité ou lisez-le ci-dessous.
«Avec la réforme du Cobat, la pâture bucolique en face de chez vous risque de se transformer en tour de 100 logements»
De la véranda au lotissement, de la division de parcelle à la lucarne dans votre grenier, des milliers de demandes de permis sont concernées par la réforme du Cobat. Celle-ci se discute actuellement au Parlement bruxellois. Le MR y voit plusieurs dangers, comme une «mainmise du Gouvernement et du cabinet Vervoort», «de l’opacité» et un risque de voir les projets s’effondrer. Décryptage.
Le Cobat, le Code Bruxellois de l’Aménagement du Territoire, est discuté actuellement au Parlement bruxellois. Dans sa forme actuelle, sa refonte vise globalement à simplifier les démarches de demande de permis, en réduire les délais et diminuer les infractions urbanistiques en aval.
En creux, la Région souhaite encourager promoteurs immobiliers et entrepreneurs. Jusqu’ici, certains ont été refroidis par les délais en cours à Bruxelles, réputés longs comme un bouchon sur le Ring. Mais au MR, on craint que cette énième réforme ne soit qu’une «entrave à ce qui fonctionnait cahin-caha». Les Libéraux bruxellois dénoncent le manque de personnel des administrations, une «volonté de concentration des pouvoirs urbanistiques dans les mains du cabinet du Ministre Président», une «opacité organisée» des organes de concertation et le PAD, qu’ils qualifient de «passe-droit donné au Gouvernement».
«Il ne faut pas voter cette réforme du Cobat en l’état: elle risque de se crasher», prévient Gaëtan Van Goidsenhoven, député MR bruxellois et échevin de l’Urbanisme à Anderlecht. «Aux yeux des investisseurs, on passera encore pour une région incapable de relever les défis urbains. Et on n’aura plus que discuter en colloque de ces beaux rêves et de ces grands discours sur la ville du XXIe siècle».
De la véranda au lotissement, de la division de parcelle à la petite lucarne dans votre grenier, des milliers de demandes de permis sont concernées. Tentative de décryptage.
1 – Le PAD: une «goutte d’acide»
C’est ce qui crispe le plus le MR. La réforme du Cobat «invente» un nouvel outil: le PAD ou Plan d’Aménagement Directeur. Dans les mains du Gouvernement bruxellois, le PAD indiquera pour un territoire donné les grands principes d’aménagement. Problème selon le MR: ses dispositions primeront sur les PPAS, PRAS ou plans de mobilité communaux.«Il s’agit d’un passe-droit donné au Gouvernement et au ministre-Président, qui détient la compétence de l’aménagement du territoire», dénonce Gaëtan Van Goidsenhoven, qui craint que le PAD «accélère la mutation de la ville au goût du Gouvernement. On comprend l’objectif de densification des parcelles. Mais en caricaturant, la rare pâture magnifique où broutent les vaches en face de chez vous pourrait devenir du jour au lendemain un tour de 100 logements».
L’échevin anderlechtois est rejoint par son collègue du Parlement bruxellois Willem Draps. «La réforme du PRDD prévoit des tours iconiques: la réforme du Cobat crée avec le PAD l’outil qui les rend possible. D’une intervention du ministre-Président, la Région pourra court-circuiter les pouvoirs locaux et l’administration. Ça nous inquiète».Bien qu’il reconnaisse que le PAD va «dynamiser l’extension de la ville», Van Goidsenhoven redoute l’effet «goutte d’acide qui sera sollicité par les promoteurs dès qu’ils seront gênés».
2 – La chambre de qualité: concertation opaque
Le MR dénonce l’existence au sein du cabinet du ministre-Président de la «chambre de qualité». Celle-ci réunit autour du Maître-Architecte les différentes parties prenantes d’un projet, comme les promoteurs, la Région, la STIB, les communes, Bruxelles Environnement… Problème selon les Libéraux: tout le monde n’y est pas toujours invité. De plus, «on y discute entre soi dans un cadre 100% opaque». Draps ne pèse pas ses mots: «il s’agit du bon plaisir du cabinet. De l’arbitraire, de l’absolutisme. Car ensuite, que reste-t-il comme recours aux Communes ou riverains, s’ils ne sont pas conviés?»
Comme échevin, Gaëtan Van Goidsenhove a déjà été convoqué à la chambre de qualité. «J’ai vu que certains projets y avancent sans concertation. Pour court-circuiter certains acteurs? Ça donne en tout cas au promoteur l’impression de recevoir un blanc-seing. Et aux citoyens l’impression d’une “comedia del arte” en commission de concertation».
Le MR reconnaît que la chambre de qualité peut rencarder en amont des projets qui n’ont aucune chance. Mais y voit une faille pour «piper les dés». Plutôt que ce que les Libéraux qualifient d’une «commission de concertation occulte», ils plaident donc pour la création actée dans le Cobat d’un outil de concertation entre communes, habitants, promoteurs, associations et Région au sein d’une «réunion de projet». Sinon, «le citoyen gardera l’impression que tout est plié d’avance», prévient Van Goidsenhoven.
3 – Délais de rigueur: vraiment utiles?
Autre changement majeur de la réforme du Cobat: l’introduction du délai de rigueur. Le MR craint qu’il ne plombe les demande plutôt que de les doper.«C’est vrai qu’il y a des traînards et que certaines communes sont réputées lentes», concède Draps. «Mais pour tenir les délais, il faudrait alléger les exigences du dossier. Le PEB: à quoi sert-il pour vérifier les gabarits? L’examen de pollution des sols peut être réalisé plus tard. Le relevé des propriétaires est disponible au cadastre. Sans parler des plans exigés à des échelles dépassées! Et enfin, l’avis des pompiers, exigé lui aussi en amont, peut bloquer tout le dossier».
Plutôt que de «considérer le demandeur comme un suspect potentiel», le MR plaide donc pour le «responsabiliser en amont». Pour coincer les récalcitrants, les Libéraux suggèrent de vérifier la conformité en aval et, le cas échéant, de bloquer l’ouverture des compteurs». Il s’agirait d’une sorte de «déclaration de conformité».
Second écueil de l’introduction du délai de rigueur selon le MR: le risque de voir les demandes de permis repartir à zéro en cas de dépassement. «Pour éviter ce genre de fiasco, il faut davantage de moyens humains», insiste Van Goidsenhoven, qui estime que le fonctionnaire Cobat imaginé par Vervoort pour les 19 communes ne prend pas en compte les spécificités de chacune d’elle. «Il faut aussi que l’outil informatique suive, ainsi que les formations des fonctionnaires».
4 – Danger pour le patrimoine?
Enfin, même s’ils reconnaissent que son intervention a pu ralentir voire «embourber» certains dossiers, les Libéraux regrettent que l’avis de la Commission des Monuments et sites ne soit plus contraignant dans le nouveau Cobat. Ils jugent cette disposition «dangereuse» pour le patrimoine.
Le cabinet Vervoort réagit: «pas de mainmise»
Mis en cause par l’opposition MR, le cabinet du ministre-Président Vervoort réagit aux différentes remarques et accusations émises quant au PAD, à la chambre de qualité, aux délais de rigueur et au rôle mineur des Monuments et sites.
1 – Le PAD est-il un «passe-droit accordé au Gouvernement bruxellois»?
«Le PAD a pour vocation à rendre réglementaire les schémas directeurs qui existent déjà depuis le précédent PRD et qui étaient suivis d’un arrêté adopté par le Gouvernement enjoignant la commune de réaliser un PPAS. Il ne s’agit donc pas d’une mainmise de la Région mais d’une rationalisation des outils afin d’accélérer les procédures qui au travers du cheminement Schéma directeur + PPAS pouvaient prendre en moyenne 5 ans!», corrige le cabinet Vervoort. «C’est donc en vue d’accélérer le développement socio-économique que le Gouvernement a introduit cet outil qui permet à la Région de faire adopter ses grandes lignes directrices sur des pôles de développement sans devoir faire réaliser des PPAS».
Le cabinet précise encore que «le PPAS est simplifié pour permettre aux communes d’avancer de manière plus flexible et plus souple sur son territoire». Et il explique que «si le PAD peut s’écarter du PRAS» (lui-même aux mains de la Région), c’est pour «éviter les doubles procédures en regroupant tout dans un même outil».
2 – La chambre de qualité: «un entre-soi 100% opaque?»
«La chambre de qualité a été mise en place par le Maître Architecte afin de réunir tous les acteurs concernés le plus en amont possible. Tous les acteurs y sont conviés, en ce compris les communes concernées», assure-t-on au cabinet Vervoort.Quid dès lors de l’idée d’une «réunion de projet» telle que soulevée par le MR? «Cette suggestion n’avait dans un premier temps pas été intégrée au Cobat pour des questions d’ordre juridique (…). Toutefois, le Ministre-Président proposera en commission Développement territorial ce 14 juin d’opter pour l’intégration de cette “Réunion de projet” dans le Cobat en précisant bien qu’il ne s’agit pas d’un acte administratif de la procédure d’instruction. Il sera proposé que cette réunion de projet soit dirigée par l’autorité délivrante (commune ou Région)».
3 – Les délais de rigueur vont-ils couler les projets?
«Les délais de rigueur sont déjà la norme pour ce qui est des permis d’environnement. Il s’agit par ce biais non pas de sanctionner le citoyen mais bien de responsabiliser les autorités délivrantes sur la tenue des délais», appuie le cabinet Vervoort. «Le secteur privé est d’ailleurs demandeur de pouvoir disposer d’une date de délivrance, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui».
Pour former les agents et affiner l’outil informatique, le ministre-Président doit proposer ce 14 juin en Commission que l’entrée en vigueur du Cobat soit effective «un an après publication».
4 – Un danger pour le patrimoine?
Le cabinet Vervoort insiste enfin concernant l’avis de la Commission royale des Monuments et sites. «Pas de recul dans la protection du patrimoine», promet-il. «Plusieurs mesures compensatoires sont proposées dont un double avis de la CRMS (un avis préalable et un avis en cours de procédure) et la mise en place d’un fonctionnaire délégué patrimoine. Il lui appartiendra de motiver sa décision s’il venait à s’écarter de l’avis de la CRMS, tout comme le fait déjà le Gouvernement bruxellois».