Interpellation de Monsieur Gaëtan VAN GOIDSENHOVEN, Député, adressée à M. Didier GOSUIN, Ministre du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, chargé de l’Emploi et de l’Economie,
concernant « les opportunités des marchés publics pour les entreprises bruxelloises »
M. Gaëtan Van Goidsenhoven.- Le service d’études de la banque Belfius estime, sur son portail en ligne que, chaque année, en Belgique, les différents pouvoirs adjudicateurs consacrent près de 50 milliards d’euros à l’achat de travaux, de fournitures et de prestations de services pour le bien de la communauté. Ces marchés publics annuels généreraient, directement et indirectement, pas moins de 55.000 emplois.
Les pouvoirs publics jouent très clairement un rôle moteur pour l’économie tant leurs commandes sont variées : des travaux d’infrastructures aux transports scolaires, en passant par la préparation des repas. Ces commandes offrent, de facto, de fortes chances pour les entreprises de trouver des créneaux d’affaires qui correspondent à leur secteur d’activité.
Or, comme nous le savons tous, l’accès des entreprises, en particulier les petites, les moyennes et les très petites entreprises (PME et TPE), à la commande publique, est jonché d’obstacles.
En premier, ce gisement d’opportunités d’affaires n’est pas toujours connu de l’ensemble des entrepreneurs qui ont le nez dans le guidon. En effet, nombre d’entre eux ignorent où sont diffusées les offres et ils découvrent souvent avec étonnement que les marchés publics ne visent pas exclusivement des multinationales.
En second lieu, même lorsqu’un porteur de projet est conscient des opportunités des marchés publics, il est très souvent découragé face aux exigences légales, aux formalités administratives et aux procédures de travail très complexes, qu’il ne maîtrise pas.
Il y a une dichotomie entre des secteurs organisés qui agissent de concert pour défendre les intérêts de leurs membres, en ce compris dans les marchés publics, et un autre versant où l’on retrouve un nombre important d’entreprises qui ne bénéficient pas d’une telle représentation.
Les marchés publics représentent donc un enjeu économique de taille, à condition que les acteurs puissent être bien informés et préparés pour en tirer profit :
– ils sont souvent très rémunérateurs ;
– ils apportent des références solides en termes de partenariat ;
– ils sont toujours payés, même si c’est parfois fort tardivement ;
– ils élargissent les chiffres d’affaires ;
– ils sont un gage de compétitivité.
Quels outils ou programmes soutiennent-ils l’information et l’accompagnement de nos entreprises en matière de marchés publics ?
L’agence impulse.brussels dispose-t-elle d’un service spécifique ou développe-t-elle au moins des partenariats avec les structures externes comme Brussels Enterprises Commerce and Industry (BECI, la Chambre de commerce et union des entreprises de Bruxelles) ou l’Union des classes moyennes (UCM) ? Un guide spécial est-il édité ou diffusé par l’Administration de l’économie et de l’emploi (AEE) auprès des porteurs de projets ?
Plus globalement, disposez-vous d’une évaluation de la performance des entreprises bruxelloises, en particulier les PME, face aux opportunités des marchés publics sur le territoire régional comme ailleurs dans notre pays ?
Nos entrepreneurs sont-ils suffisamment compétitifs, bien informés et bien outillés ? Quelles sont les carences identifiées et les réponses éventuellement dégagées pour les combler ?
Enfin, il existe un portail unique des marchés publics en Région wallonne et en Fédération Wallonie-Bruxelles. Or, il semblerait que ce ne soit pas le cas pour notre Région. Le lancement d’un projet similaire est-il prévu pour Bruxelles, afin de faciliter l’information des entrepreneurs ?
M. Didier Gosuin, ministre.- Cette question doit être analysée sur différents plans. Premièrement, vous avez raison de dire que les marchés publics, qui représentent 50 milliards d’euros, constituent un enjeu colossal. J’ajouterai que 50% de ces marchés sont d’initiative communale. Il faudra donc être attentif à ne pas corseter les moyens communaux pour éviter une diminution importante du volume des marchés publics qui aurait des conséquences néfastes sur l’emploi.
Nous devons bien reconnaître que la nouvelle décision européenne du SEC 95 risque d’avoir des conséquences dommageables sur le volume des marchés publics, notamment au niveau communal.
Il s’agit parfois d’une diminution de moitié des investissements communaux.
Deuxièmement, l’une des difficultés majeures réside dans la complexité et la volatilité de la loi sur les marchés publics. Lorsque des lois changent presque chaque année, ça devient quasi impossible pour des administrations qui ont du personnel chevronné de les réaliser correctement. Vous qui êtes un mandataire local, vous savez que, fréquemment, des marchés sont cassés, annulés, contestés parce que la législation devient de plus en plus complexe.
Si cette loi se complique pour ceux qui rédigent les cahiers de charge et organisent ces marchés, il en va de même de ceux qui doivent répondre aux diverses exigences. Il faudra sans doute plancher sur ce cadre européen qui nous est imposé et formuler des propositions parce qu’augmenter la complexité de ce type de législation risque d’éloigner des PME qui n’ont pas le personnel adéquat pour répondre aux marchés.
En effet, une grande entreprise qui dispose d’un service juridique et de consultants peut plus aisément répondre à des marchés qu’une PME qui n’a pas toujours les moyens de comprendre les exigences, ou le temps de réunir toutes les conditions. Il y a là un réel problème de discrimination entre entreprises.
Les marchés publics sont une compétence transversale et touchent donc l’ensemble des compétences du Service public régional de Bruxelles (SPRB) et des organismes régionaux. Ils sont donc suivis par la Cellule de simplification administrative du service public Bruxelles coordination régionale. Vous pouvez adresser vos interpellations à ce niveau-là également.
Il est aussi vrai qu’en tant que ministre de l’Économie, je peux jouer un rôle de levier, notamment auprès des organismes régionaux sous ma tutelle.
J’en viens aux mesures prises par le SPRB pour faciliter l’accès des entreprises aux adjudications publiques.
Avec l’application en 2010 d’une circulaire ministérielle relative au Plan bruxellois pour la simplification administrative, les diverses administrations composant le SPRB sont tenues de passer par une procédure électronique pour les adjudications publiques. Il s’agit de l’application « e-procurement » du Service public fédéral (SPF) technologie de l’information et de la communication (Fedict), une plate-forme en ligne qui augmente considérablement la vitesse et la qualité des investissements publics.
Grâce à cette plate-forme, les agents peuvent publier les adjudications publiques en ligne. Les entreprises en sont averties par courriel ou peuvent chercher des adjudications intéressantes grâce à une fonction de recherche. À l’avenir, les entreprises pourront également introduire et suivre leur dossier en ligne.
Les agents concernés du SPRB ont la possibilité de participer à des formations organisées par l’État fédéral – je le rappelle, cette compétence reste fédérale, et c’est une bonne chose – à l’utilisation de l’application proposée par le Fedict. Les fonctionnaires qui entrent en service reçoivent systématiquement cette formation. La Cellule de simplification administrative joue les relais et octroie les mots de passe permettant d’avoir accès à la plate-forme fédérale.
Je souhaite promouvoir l’utilisation de l’application « e-procurement » auprès des organismes régionaux qui sont sous ma tutelle. La moitié des marchés étant communaux, il serait bon d’inciter les communes, les CPAS, les zones de police et les hôpitaux à utiliser une telle plateforme.
De facto, la quasi-totalité des marchés publics en Région bruxelloise seront ainsi intégrés au dispositif, à l’exception peut-être de ceux émanant d’autres institutions comme la Fédération Wallonie-Bruxelles, la Région flamande ou l’État fédéral. J’ignore si ces institutions utilisent ladite plate-forme.
Les opportunités offertes par les marchés publics aux PME sont d’autant plus emblématiques qu’elles sont reconnues et encouragées à l’échelon européen, voire à l’échelle internationale, en dépit des remarques que je viens de vous faire sur la complexité des procédures. Elles constituent en effet l’un des dix domaines d’intervention du Small Business Act européen.
Dans ce document, la Commission européenne invite les États membres à « mettre en place des points de contact uniques à partir desquels les entreprises peuvent obtenir toute l’information pertinente nécessaire et à partir desquels elles peuvent compléter les documents nécessaires à une procédure donnée ».
Dans sa déclaration de politique régionale, le gouvernement a pris l’engagement de mettre en place un Small Business Act bruxellois sous la forme d’une charte. Il faudra des formations pour aider les PME à comprendre le mécanisme pour qu’à terme, elles puissent consulter la plate-forme et y suivre leur dossier.
Des efforts substantiels ont déjà été effectués en Région bruxelloise pour la diffusion d’informations, notamment via l’instauration du numéro 1819 du centre de contact régional dédié aux entrepreneurs bruxellois au sein d’impulse.brussels. Ce rôle de guichet d’information unique pourrait être renforcé, ainsi que l’intégration de toutes les initiatives à destination des PME, dont celles relatives à l’accès aux marchés publics.
Par le passé, des projets ont été étudiés et testés, notamment en matière de marchés dans les secteurs des déchets et de l’eau, en lien avec impulse.brussels et Brussels Enterprises Commerce and Industry (BECI). En matière de déchets, l’ancienne ministre a cependant arrêté le processus.
Notons aussi qu’il existe plusieurs plates-formes privées d’accès aux différents niveaux de marchés publics (comme le Journal officiel de l’Union européenne ou l’application « e-procurement ») auxquelles les entreprises concernées sont souvent abonnées. L’enjeu pourrait aussi être de conseiller les entreprises dans la manière de participer à des marchés publics.
Enfin, entre impulse.brussels et BECI s’est constitué un point de contact : Brussels Network. C’est un lieu où l’on renseigne les appels d’offres et les marchés publics européens, notamment dans l’optique d’aider les entreprises à y participer.
Je vais sensibiliser mes collègues du gouvernement à l’utilisation de l’application « eprocurement ». Je ne doute pas que vous le ferez aussi, via vos interpellations, pour que tous les organismes régionaux soient en lien avec cet objectif. Il est aussi souhaitable qu’au niveau du ministre-président et des ministres de tutelle, il y ait des contacts avec les communes et les CPAS pour les armer en vue d’utiliser cet outil.
Enfin, dans le cadre de l’objectif de rationalisation et d’amélioration des outils de soutien et d’accompagnement des entreprises, j’entends analyser les possibilités d’augmenter la participation des entreprises aux marchés publics, tant à Bruxelles qu’au-delà. Il s’agira notamment de mieux évaluer les freins, les obstacles et les mesures les plus efficaces pour y répondre, le tout en collaboration avec les représentants du secteur privé.
M. Gaëtan Van Goidsenhoven.- Je partage l’avis du ministre au sujet des constats, mais je n’ai pas entendu de réponse précise à propos de la performance des entreprises bruxelloises dans l’accès aux marchés publics. On a souvent l’impression que les entreprises du nord et du sud du pays s’en tirent mieux, singulièrement au niveau des marchés publics bruxellois. Il y a sans doute des choses à conclure de ce manque de performance éventuel. Disposez-vous de chiffres et de données concrètes en cette matière ?
En ce qui concerne le Small Business Act bruxellois, j’aurais souhaité que vous nous rappeliez le calendrier envisagé.
M. Didier Gosuin, ministre.- Le calendrier du Small Business Act est très clairement décrit dans la déclaration de politique régionale. Les négociations seront menées au cours de l’année 2015.
En ce qui concerne l’accès aux marchés publics, je note que vous semblez avoir une évaluation, puisque vous affirmez que les entreprises bruxelloises sont moins performantes. Pour ma part, je ne dispose pas d’une telle évaluation. Donc, si vous avez une étude, je suis preneur.
M. Gaëtan Van Goidsenhoven.- Il ne s’agit pas d’une étude, mais d’une intuition basée sur les échos du monde de l’entreprise. Les entrepreneurs bruxellois ont l’impression que leur accès aux marchés publics est moins aisé. Je pense dès lors qu’il serait important de se pencher sur cette question, ne serait-ce que pour répondre à l’inquiétude de nos acteurs économiques. Compte tenu du poids de ces marchés publics, il en va de leurs performances, et donc de celles de notre Région.
M. Didier Gosuin, ministre.- Je ne peux évidemment pas trop m’étendre sur une intuition. Nous ne pourrons avoir d’évaluation que lorsqu’il y a aura une centralisation de toutes les adjudications. Pour cela, il faut que tous les opérateurs – communes, etc. – s’inscrivent dans cette logique.
Je ne peux pas vous dire aujourd’hui, par exemple pour la commune d’Anderlecht, quel est le taux de réponse des petites et moyennes entreprises aux marchés qu’elle lance. Elle est la seule à détenir cette information. Si toutes les communes se mettent en ligne, nous disposerons de cette information, mais, aujourd’hui, procéder à une évaluation me paraît impossible parce qu’il n’y a pas de base statistique.
La meilleure solution consisterait à disposer d’un outil commun en Région bruxelloise. Il a été créé par l’État fédéral et la Région bruxelloise y a accès. Il faut que tous les organismes régionaux entrent dans cette logique, ainsi que tous les organismes communaux et les zones de police. Nous aurons alors la liste de toutes les adjudications pour tous ces organismes, ce qui représentera presque 80% du total des adjudications. Alors, nous pourrons savoir à qui sont attribués ces marchés.
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CRI COM (2014-2015) n°3, Octobre 2014, pp. 64-71