Interpellation concernant le relèvement des ponts au-dessus du canal

Interpellation de Monsieur Gaëtan VAN GOIDSENHOVEN, Député, adressée à M. Rudi VERVOORT, Ministre-Président du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, chargé des Pouvoirs locaux, du Développement territorial, de la Politique de la Ville, des Monuments et Sites, des Affaires étudiantes, du Tourisme, de la Recherche scientifique et de la Propreté publique,

concernant le relèvement des ponts au-dessus du canal.

M. Gaëtan Van Goidsenhoven (MR).- Le port de Bruxelles est un port ouvert aux navires de plus de 4.500 tonnes, du moins jusqu’au bassin Vergote. Nous pouvons donc qualifier notre port régional de « port maritime ». Conscientes de cette qualité assez singulière, les autorités régionales se doivent de veiller à consentir les moyens suffisants à l’entretien de l’outil qu’est le canal, l’idée étant de soigner le tirant d’eau des navires par un dragage régulier, mais aussi d’offrir un tirant d’air adapté aux exigences modernes.

Dans ce contexte, il est bon de rappeler le rôle majeur du port dans l’acheminement de marchandises vers ou depuis notre Région. Le Plan stratégique pour le transport des marchandises en Région de Bruxelles-Capitale confirme et consacre ainsi l’implication du port dans l’approvisionnement de notre Région. J’insiste sur ce point au vu de nos enjeux environnementaux considérables et des grandes nuisances générées par le charroi routier.

Or, pour remplir son rôle, il appartient au port d’offrir aux armateurs un outil de navigation correspondant à leurs attentes, notamment en regard des enjeux économiques actuels. À cet égard, le passage de bateaux transportant trois couches de conteneurs semble un objectif essentiel pour le devenir de notre canal.

Selon mes informations, ceci exige cependant le relèvement des ponts, conformément d’ailleurs aux directives européennes. J’ai le souvenir qu’une étude a été menée voici plus de cinq ans par le bureau Stratec à propos de ces questions liées au tirant d’air des navires et donc au relèvement des ponts à Bruxelles.

Aujourd’hui, je souhaite vous entendre au sujet de l’évolution de la situation en cette matière. Qu’en est-il de l’actualisation éventuelle de l’étude de Stratec ? Quels sont les ponts sur lesquels il conviendrait d’intervenir en priorité ? Des dossiers sont-ils préparés par vos services à cet égard ? Des procédures urbanistiques sont-elles en cours ? Des concertations s’opèrent-elles à ce sujet avec les communes concernées, mais aussi avec les acteurs régionaux en charge de la mobilité ?

Par ailleurs, pouvez-vous nous préciser si ces interventions sont, oui ou non, nécessaires avant toute mise en œuvre effective de nos projets de création de centres de distribution urbaine de marchandises ?

Sur le terrain, il y a bien évidemment lieu de distinguer les ponts mobiles, entretenus par le port, et les ponts fixes qui sont du ressort des autres administrations régionales. Qu’en est-il de la ventilation des moyens budgétaires nécessaires entre ces opérateurs publics pour répondre aux ambitions visant à faire naviguer sur le canal des bateaux volumineux ?

Vu les moyens budgétaires que j’imagine considérables, je suppose que vous travaillez à la recherche de subsides permettant d’accélérer la réalisation des travaux. Pourriez-vous informer les membres de notre commission de l’état d’avancement de cet aspect fondamental du dossier ?

Impossible d’aborder ce dossier sans revenir sur l’indispensable concertation avec les deux autres Régions qui assument aussi la gestion d’une partie du canal. C’est une évidence, la navigation depuis ou vers la mer des bâtiments transportant de forts tonnages n’est possible que si d’importants travaux de soulèvement des ponts sont envisagés dans toutes les Régions.

Je suppose dès lors que cette question stratégique fait l’objet d’une réelle concertation avec vos homologues. Pourriez-vous nous informer des engagements précis pris pas les différents intervenants de ce dossier et nous préciser le calendrier de réalisation des travaux retenus par notre Région et ses interlocuteurs de Flandre et de Wallonie ? 

[Intervention de M. Arnaud Verstraete]

[Intervention de Mme Brigitte Grouwels]

M. Rudi Vervoort, ministre-président.- La hauteur des ponts enjambant le canal bruxellois est une question complexe, qui appelle des réponses nuancées.

Je me permettrai d’abord de nuancer vos propos dans la mesure où, au niveau européen, cette question n’est pas abordée dans une directive, comme vous l’avez dit, mais dans une résolution de 1992 et dans un accord européen sur les grandes voies navigables d’importances nationales, datant de 1996. Or une résolution n’a rien de contraignant juridiquement.

Selon les prescriptions de l’accord précité, le tirant d’air sous les ponts pour les voies navigables d’importance internationale doit être de minimum 7m. Toutefois, l’accord précise que, si une hauteur libre sous les ponts de 7m n’est pas économiquement rentable, la hauteur libre sous les ponts de ces voies navigables peut être de 5,25m, mais il faut alors considérer la possibilité d’utiliser des convois plus longs et adapter la longueur des écluses en conséquence. Vous imaginez l’ampleur du chantier ! Là, nous nous projetons déjà dans le siècle prochain.

Les conclusions de l’étude Stratec disent que la hauteur libre sous les ponts du canal à Bruxelles doit être au minimum de 5,25m, et plus si cela se justifie économiquement. Ce n’est pas le cas de tous les ponts de la Région de Bruxelles-Capitale, ni d’ailleurs de plusieurs ponts situés en amont de Bruxelles en Région flamande, ou en Région wallonne. Les problèmes se posent là-bas de la même manière, même si la portée de l’enjeu est différente, puisqu’il ne s’inscrit pas dans un cadre urbain. Les contraintes ne sont pas les mêmes.

Des ponts tels que celui de la place Sainctelette, le pont des Armateurs ou ceux du quai de Biestebroeck ne sont pas prêts d’être rénovés car il n’y a pas de raison de le faire. Or, à l’heure actuelle, ils empêchent à eux seuls la traversée de la partie bruxelloise du canal par des bateaux transportant trois couches de conteneurs. C’est aussi le cas de plusieurs ponts en Flandre et en Wallonie.

Au-delà de cet aspect, il en va surtout de la dimension urbaine. Il est essentiel de se demander quel sera l’impact urbanistique d’un pont avec un tirant d’air de sept mètres sur le tissu urbain.

Ainsi, les rampes des ponts à sept mètres doivent plonger beaucoup plus loin dans le tissu urbain, avec les conséquences malheureuses qui en découlent. Imaginez la déstructuration du tissu urbain que cette entreprise peut générer, à proximité de la voie d’eau !

Le projet du pont de la Petite Île, pour lequel un permis d’urbanisme avait été délivré en son temps, avait une portée de 150m pour une traversée de 17m. Cela n’est pas compatible avec les possibilités envisagées par Alexandre Chemetoff en termes d’urbanisation des berges dans le cadre du Plan canal. Il nous faut trouver une solution alliant impératifs économiques, développement urbain et développement de la zone du canal.

Concernant le trafic fluvial, je ne pense pas que l’option des 5,25m impactera négativement le trafic intra-muros bruxellois. On peut néanmoins se dire qu’elle correspondrait mieux à la vision européenne, mais comme une résolution européenne n’est pas contraignante, des décennies risquent encore de s’écouler avant que l’on n’applique, au niveau international, l’idée d’avoir des ponts avec des tirants d’air de plus de sept mètres. C’est l’enjeu le plus direct et il nous faut apporter des réponses directes à ces besoins qui se posent à nous aujourd’hui à Bruxelles.

Par ailleurs, l’étude Stratec est en cours d’actualisation au sein de Bruxelles Mobilité. Elle est prévue dans le contrat de gestion du port.

Sur l’urgence de relever les ponts pour ce qui concerne la faisabilité des divers projets de centres de distribution urbaine, je vous ai déjà répondu.

L’étude Stratec évoque initialement en priorité les ponts suivants, laissant un tirant d’air de moins de 5,25m :

– le pont du Petit Château, Porte de Flandre ;

– le pont de la place des Armateurs ;

– le pont de Cureghem et de l’écluse d’Anderlecht ;

– le pont de chemin de fer de la ligne 28.

Le calendrier et le financement des ponts doivent aussi être réévalués en détail pour tenir compte de considérations plus urbaines. Rehausser un pont coûte cher. Par exemple, concernant le pont de la Petite Île, la différence de tirant entre un 5,25m et un 7m entraîne le quasi doublement du prix. Le budget à prévoir se situe entre 10 et 17 millions d’euros.

Enfin, en matière de subsides, il existe un programme européen qui intervient dans ce type d’investissement. Nous ne manquerons pas de déposer un dossier à ce niveau-là pour tous les projets que nous allons développer.

La concertation avec les autres Régions doit évidemment se faire. Il existe déjà une concertation permanente et un partage d’expériences entre les ports eux-mêmes.

Quant à la passerelle Picard, si nous devions la rehausser de 7m, nous serions confrontés à l’emprise urbaine. Nous devrions procéder à des expropriations car, pour des raisons de portée, nous devrions empiéter sur des terrains privés. Mais, vu l’urgence, un rehaussement de 5,25m est, en revanche, possible car nous resterions dans le domaine public. Nous pourrions répondre aux besoins de mobilité, ce qui est bien nécessaire dans cette partie du Plan canal. Le site de Tour & Taxis devrait connaître des développements importants dans les années à venir. Il faut donc assurer la mobilité dans le secteur : mobilité piétonne, mobilité cycliste, mobilité des transports en commun. Notre option est de répondre prioritairement à ces besoins vitaux pour le développement de notre Région. 

M. Gaëtan Van Goidsenhoven (MR).- Les investissements dont nous parlons sont conséquents. Certains d’entre eux peuvent nous projeter dans un avenir relativement lointain. Or, on se rend bien compte, surtout au regard de l’évolution de la zone du canal, qu’il faut trancher. Le fameux pont Marchand en est l’illustration. Un changement de stratégie aura un impact en termes de financement de projet, d’ampleur de projet et de configuration urbaine. Ce sont des questions qu’il faut aussi pouvoir trancher. Ce que l’on ne décide pas aujourd’hui aura beaucoup de peine à être mis en œuvre dans quelques années.

La solution ne serait-elle pas de s’orienter davantage vers des ponts levants, le cas échéant ?

Enfin, qu’en est-il de la ventilation des moyens budgétaires nécessaires, surtout entre les opérateurs publics, pour répondre aux ambitions ? Même si certains projets sont en train d’être revus, ils doivent être rapidement inscrits à l’agenda pour exploiter correctement le canal dans un but économique, mais aussi faire la liaison entre les deux rives.

Vous l’avez dit, la situation actuelle n’est certainement idéale… 

M. Rudi Vervoort, ministre-président.- Je ne peux pas répondre à la place de mes collègues. Je ne gère pas les budgets de Bruxelles Mobilité.

Je sais, par ailleurs, que le projet autour du pont de la Petite Île est à l’instruction. Il sera revu en termes de gabarit à la lumière de ce que je vous ai exposé ce matin. Comme le projet est bien avancé et nécessite des travaux urgents, il fait partie des priorités. Sa situation actuelle a en effet un impact négatif sur la mobilité de l’ensemble du quartier.

 

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CRI COM (2014-2015) n°49, Février 2015, pp. 7-15