Interpellation sur le rôle de la COCOF dans le cadre de la prévention de la radicalisation pour les francophones

Interpellation de Monsieur Gaëtan VAN GOIDSENHOVEN, Député, adressée à Madame Fadila LAANAN, Ministre-Présidente du Collège de la Commission communautaire française, en charge du Budget, de l’Enseignement, du Transport scolaire, de l’Accueil de l’enfance, du Sport et de la Culture

concernant le rôle de la COCOF dans le cadre de la prévention de la radicalisation pour les francophones

[Interpellation principale de Madame Teitelbaum]

M. Gaëtan Van Goidsenhoven (MR).- Les événements tragiques qui ont frappé Paris au mois de novembre dernier mettent plus que jamais en lumière l’indispensable travail de prévention, en amont, de la radicalisation d’individus en perte de repères. Nous avons tous regretté, quelques jours à peine après ces attentats, la stigmatisation dont notre Région et en particulier la commune de Molenbeek avaient fait l’objet, notamment dans la presse internationale.

Notre Région a vraiment souffert de cette situation. Désormais, c’est en faisant preuve de proactivité que nous pourrons rassurer la population, donner une meilleure image de la Région et, plus globalement, y assurer le vivre ensemble. J’ai pu souligner lors de notre séance plénière du 20 novembre dernier, consacrée aux attentats de Paris, la nécessité de retourner sur le terrain et de se livrer à une évaluation objective de l’efficacité des politiques publiques en matière de prévention, de cohabitation et de cohésion sociale.

Mais cela ne veut pas dire que le travail d’information consacré à la prévention et à la déradicalisation ne doit pas être effectué sans prendre en considération des exemples d’initiatives venues d’ailleurs, tel le centre mis en place à Montréal, au Québec, qui a, semble-t-il, inspiré votre collègue de la Fédération Wallonie-Bruxelles en charge des maisons de justice. Cette structure, à ce qu’en dit votre collègue, engrange des résultats plutôt encourageants. Concrètement, il s’agit d’une ligne téléphonique, accessible 24 heures sur 24 à toute personne confrontée à une situation liée à la radicalisation ou ayant des soupçons ou des questions. Cet organisme est composé de personnes spécialisées dans ce domaine – psychologues, assistants sociaux, universitaires… – à même de traiter les informations reçues ou de répondre aux questions posées. L’un des éléments importants de cette structure est qu’elle s’appuie sur une communication efficace, qui en aucun cas ne peut être assimilée à de la délation. L’idée est bien entendu de fournir un travail en amont, de faire de la prévention.

Lors de votre discours de déclaration de politique générale, le 30 octobre 2015, vous n’aviez pas manqué de souligner l’importance de la citoyenneté dans notre Région. Vous aviez parlé de dialogue, de solidarité, d’initiative, mais aussi de protection et d’audace, autant de termes forts pour illustrer le modèle bruxellois.

Cette initiative menée au Québec est intéressante et l’on peut accueillir positivement la volonté de la Fédération Wallonie-Bruxelles de l’implanter chez nous. Il me semble toutefois important de souligner que la Commission communautaire française aurait intérêt à être partie prenante de ce projet et à participer à cet effort.

Quels contacts ont-ils été pris avec les responsables de la Fédération Wallonie-Bruxelles afin que notre institution soit impliquée directement dans cette réflexion ? Dans de nombreux domaines, les actions que mène la Commission communautaire française – sensibilisation, prévention… – sont une nécessité afin de tenir informés les Bruxellois. On peut donc aisément envisager, à ce stade, des actions de communication visant à prévenir toute forme de radicalisation, que ce soit dans les écoles, les centres de formation, les institutions publiques…

Il est indispensable de mener une politique volontaire, dynamique et proactive en la matière. Quelles actions avez-vous pu prendre en ce sens ?

Avez-vous pu cibler, parmi les nombreux établissements de la Commission communautaire française , écoles, centres de formation, des possibilités d’action, de contacts, afin de développer cette prévention indispensable ?

Un rôle actif que pourrait jouer la Commission communautaire française en synergie avec la Fédération Wallonie-Bruxelles pour mener des actions concrètes de prévention contre la radicalisation constituerait une illustration concrète de cette citoyenneté à laquelle nous tenons tous. 

[Intervention de Madame Désir]

[Intervention de Madame Maison]

[Intervention de Monsieur Kompany]

Mme Fadila Laanan, ministre-présidente.- Je remercie Mme Teitelbaum et M. Van Goidsenhoven pour leurs interpellation et interpellation jointe qui, apparemment, ont suscité un certain engouement, vu les interventions des uns et des autres.

Madame Teitelbaum, les équipes pédagogiques des écoles de la Commission communautaire française ont bien entendu été sensibilisées à la radicalisation via leurs directions. À la suite des attentats de Paris, la Commission communautaire française a relayé le courrier et la circulaire envoyés par la Fédération Wallonie-Bruxelles, lesquels invitaient les écoles à participer à une minute de silence et à organiser un espace de parole en classe ou en groupes de classes.

En annexe de ces documents, les équipes pédagogiques ont reçu une série d’outils liés à l’apprentissage de la citoyenneté et du vivre ensemble. Les écoles de la Commission communautaire française, aussi bien primaires que secondaires, ont concrètement participé à la minute de silence et organisé, selon des modalités différentes, des séances d’information pour les élèves. Elles ont également mis à disposition des professeurs des outils pédagogiques pour organiser ces séances.

Les professeurs chargés d’encadrer les groupes de parole et qui en ont exprimé le souhait, ont pu être épaulés par des experts ou des médiateurs pour pouvoir répondre aux interrogations des élèves.

S’agissant du nombre d’élèves de l’enseignement de la Commission communautaire française qui seraient partis en Syrie, mon administration ne dispose pas de cadastre précis à cet égard. Ceci étant, nos directions sont très attentives aux éventuels cas de radicalisation et n’hésitent pas, lorsqu’il y a un besoin, d’en informer les autorités compétentes.

Actuellement, il n’a pas été nécessaire d’organiser une campagne d’information en dehors des structures scolaires, mais je peux vous confirmer que mes services restent extrêmement vigilants et qu’ils travaillent en étroite collaboration avec les directions des différents instituts qui dépendent de la Commission communautaire française.

Monsieur Van Goidsenhoven, je suis ravie que vous souhaitiez mettre en lumière les échanges des bonnes pratiques entre la Fédération Wallonie-Bruxelles et le Québec. Cette coopération avec le Québec a effectivement été formalisée au travers d’une déclaration conjointe, qui vient traduire la volonté de renforcer l’échange des connaissances, des expériences, des expertises et des pratiques entre le Québec et la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il s’agit effectivement de mieux outiller les intervenants de terrain en matière de prévention de la radicalisation violente.

Cette coopération devrait, a priori, aboutir à la mise en place d’un Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence. Au sein de ce centre, il est prévu de déployer des travailleurs sociaux, psychologues, ou encore criminologues afin d’intervenir auprès des personnes en demande.

Ils sont également chargés de répondre aux appels téléphoniques qui leur parviennent via une ligne gratuite et confidentielle, accessible 24 h/24 et 7 j/7 à toute personne désirant être informée, écoutée et conseillée.

Ce dossier est pris en charge par mon collègue M. Madrane. Outre ce centre, il a aussi été question de maisons de transition, relevant elles aussi des compétences respectives des ministres Thériault et Madrane.

Personnellement, je salue cette initiative propre à mes collègues du Gouvernement francophone. Vous l’aurez compris, face à la montée des extrémismes, aux accès de violences barbares et aveugles, il semble en effet nécessaire que chaque gouvernement et niveau de pouvoir apporte, à son échelle, des réponses en matière de sécurité, mais aussi en matière de prévention. C’est un front politique uni et solidaire qu’il nous faut mettre en place pour mener ces actions ensemble.

Pour vous rassurer Monsieur Van Goidsenhoven, je me dois de vous dire que notre institution s’est elle aussi inscrite dans une démarche de lutte contre le radicalisme, avec notamment la Fédération Wallonie Bruxelles, mais aussi la Région bruxelloise et l’ensemble des entités qui en dépendent. Je pense aux Commissions communautaires flamande et commune.

À cet effet, le Gouvernement francophone bruxellois, la Région bruxelloise, en bonne intelligence avec la Fédération Wallonie Bruxelles, entendent proposer une approche intégrale de la problématique du radicalisme.

L’objectif de ce dispositif est de répondre au plus près des besoins formulés par les pouvoirs locaux et les habitants de Bruxelles sans discrimination ou stigmatisation. Mon collègue Rudi Vervoort, qui en a tout naturellement été désigné comme pilote, pourrait vous en dire bien plus que moi sur le sujet.

Par ailleurs, afin de favoriser le vivre ensemble, je dirais même plus le faire ensemble, la Région de Bruxelles-Capitale, la Fédération Wallonie-Bruxelles, la Communauté flamande, la Commission communautaire flamande et notre institution ont effectivement décidé de s’associer pour organiser en commun sur le territoire bruxellois une année thématique consacrée à la diversité pour 2016 et 2017. Ce dossier, mené principalement par M. Rachid Madrane, a entraîné l’engouement des gouvernements cités. Cette année thématique mettra un point d’honneur à faire connaître, mais aussi à renforcer les liens et les particularités qui unissent les Bruxellois.

Les différents gouvernements bruxellois ont récemment été chargés d’affiner le programme présenté et le budget y afférent, lequel avoisine 3 millions d’euros de 2015 à 2017 pour l’ensemble des entités.

Visit.brussels a également été chargé d’une mission de coordination dans le cadre de la mise en œuvre de cette année à thème. Dans ce contexte, le Gouvernement francophone bruxellois s’engage à contribuer à hauteur de 250.000 euros au financement de l’année thématique.

Très peu de problématiques respectent les champs de compétences, les mandats de chaque ministre ou encore les limites entre entités. Pour bien comprendre le contexte et mobiliser ses partenaires, il faut, comme nous avons su le faire, disposer de larges réseaux. Des réseaux et des contacts érigés patiemment, au fil du temps, grâce à un travail de terrain et à des fonctionnaires attentifs.

C’est pourquoi vous comprendrez aisément que le Gouvernement francophone bruxellois encourage les projets associatifs, dont la portée en matière de lutte contre le repli identitaire est significative et qualitativement intéressante.

Je suis d’ailleurs très meurtrie par ce qui arrive à un artiste de grand talent, M. Ismaël Saidi. Ce dernier a fait l’objet d’attaques, tout à fait scandaleuses, relatives à un projet validé par le Gouvernement de la Région bruxelloise et qui mettait en place la réalisation de capsules portant sur des questions de radicalisme. Ces capsules auraient été réalisées par des personnalités de grande expertise en la matière. Comment peut-on saboter ce type de travail et pousser à bout une personne qui a décidé logiquement de jeter l’éponge. Décision que l’on peut comprendre, car il s’agit de quelqu’un qui n’a pas l’habitude de ramasser des coups, même lorsqu’ils sont injustes. Ce débat a complètement détourné notre énergie et je tiens à dire que c’est du gâchis.

Bien sûr, il s’agira d’intensifier les dispositifs visant le renforcement des politiques de cohésion sociale et de lutte contre le repli identitaire au sein des pouvoirs locaux. La mesure phare, qui pèse le plus budgétairement parlant, est l’ouverture des bureaux d’accueil pour primo-arrivants (BAPA). Monsieur Kompany, vous y avez fait allusion.

Cependant, la question du radicalisme ne touche pas spécifiquement les primo-arrivants. Cela peut toucher tout le monde, comme on a pu le constater dans les événements que nous connaissons. Des « Belges de souche », issus de familles parfois athées, peuvent aussi être attirés par le chant des sirènes du radicalisme violent. Je ne pense donc pas que la cible exclusive doit être le public des primo-arrivants, même si nous avons le devoir d’accueillir dans le plus grand confort et de faire en sorte qu’ils puissent s’intégrer en leur offrant ce parcours d’accueil et d’intégration.

La responsabilité du gouvernement est donc de garantir l’arrimage aux différents dispositifs portés par la Région bruxelloise et la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ce sont également l’ensemble des compétences de notre institution qui constituent des leviers pour les actions concrètes à mettre en œuvre dans la poursuite de ce formidable accélérateur qu’est la cohésion sociale. Nous devons néanmoins le faire en bonne synergie avec les différents niveaux de pouvoir.

Madame Désir, vous m’avez interrogée sur le sectarisme, le fondamentalisme et le radicalisme. Comme vous l’avez vous-même précisé dans votre question, il n’y a pas de frontière à cet égard.

Nous devons tous faire preuve de la plus grande vigilance pour contrer et combattre ceux qui, notamment au nom d’une certaine vision de l’islam, veulent mettre à mal notre modèle de société.

Face à la montée de ces extrémismes, face aux actes de violence barbares et aveugles, il semble nécessaire que nous apportions tous une réponse.

Vous mettez en évidence la montée des violences, la banalisation des discours racistes, l’antisémitisme et l’islamophobie, autant de phénomènes qui ont pris une ampleur extraordinaire. Tout le monde semble même éviter de les dénoncer, de peur d’être mal compris. Nous vivons dans un monde incroyable ! Vous avez raison de dire que nous devons poursuivre notre lutte contre les discriminations, la misogynie ou l’homophobie.

Nous devons aussi réfléchir à des questions comme la perte de repères, la précarité, le désenchantement, l’impression d’un avenir bouché, les dérapages malheureux de certains d’entre nous.

Madame Désir, comme Rudi Vervoort et moi-même avons déjà eu l’occasion de le dire, nous devons, ensemble, prendre les mesures qui garantiront à tous un parcours de vie heureux.

Je me suis déjà exprimée sur le projet pédagogique d’Ismaël Saidi. J’espère qu’il sera concrétisé et que nous pourrons nous rassembler autour de ce genre de démarche d’utilité publique. Je vous confirme que le Gouvernement francophone bruxellois travaille de concert avec toutes les entités bruxelloises actives dans ce domaine.

Les politiques menées par la Commission communautaire française dans des matières comme l’enseignement, la formation, la culture, l’aide à la jeunesse, la formation et l’accès à l’emploi ou au logement doivent encourager le vivre ensemble, voire le faire ensemble. La complémentarité est une condition de réussite essentielle pour prévenir les crispations ou les frustrations.

Mon administration a communiqué aux équipes pédagogiques des outils de sensibilisation. Elle les accompagne également si nécessaire.

Monsieur Kompany, je voudrais préciser un chiffre. Vous avez dit que le spectacle Djihad avaient été vu par 12.000 personnes issues du milieu scolaire. Ce chiffre est dépassé et doit être actualisé. Plus de 40.000 personnes ont pu assister et participer à ce spectacle, avec une majorité du public issue du milieu scolaire.

[Réplique de Madame Teitelbaum]

M. Gaëtan Van Goidsenhoven (MR).- Je m’associe aux questions posées par ma collègue. J’entends bien que nous travaillons en bonne synergie avec la Fédération WallonieBruxelles et avec le niveau régional, et c’est évidemment très souhaitable. Vous nous avez aussi fait part de votre volonté de proposer un dispositif intégré de lutte contre le radicalisme et, plus globalement, de lutte contre le repli identitaire.

Il ne s’agit évidemment pas d’empiéter sur les compétences des autres niveaux de pouvoir, mais nous sommes à Bruxelles, dans un contexte assez particulier. Nous représentons les Bruxellois francophones et nous devons plus que jamais œuvrer dans le concret si nous voulons résoudre ces problématiques. Nous devons dès lors nous interroger sur la valeur ajoutée que notre institution est susceptible d’apporter dans ce combat devenu fondamental et prioritaire. En effet, il ne s’agit pas d’une politique à mener parmi tant d’autres, mais de la préservation des fondements mêmes de notre démocratie.

Nous devons donc nous mobiliser concrètement et apporter notre pierre à l’édifice, en respectant bien entendu les capacités et les compétences de la Commission communautaire française. Aujourd’hui plus que jamais, vous devez nous éclairer sur notre plus-value et sur les projets concrets que nous pouvons porter. Vu notre statut de mandataires publics, notre responsabilité en la matière est en effet écrasante.

Mme Fadila Laanan, ministre-présidente.- Je vais répondre à Mme Teitelbaum quant aux actions à mener au niveau des écoles et aux parents. Je ne veux pas faire le travail de Mme Milquet. Cette dernière, avec ses services, réalise un certain nombre d’actions et met à disposition des équipes de médiation lorsqu’il y a des difficultés dans des classes.

Des projets comme le film de Mme Kessas sur les mamans de jeunes partis en Syrie sont des outils que nous pouvons utiliser et que nous pourrions valoriser dans le cadre de nos compétences, en espérant que tous les mandataires puissent se solidariser autour de ce type d’actions. Comme je le disais tout à l’heure, j’ai été fort troublée du sort qui a été réservé au projet de M. Saidi. J’espère que cela ne va pas se reproduire, car nous nous privons ainsi de projets qui pourraient soutenir et sensibiliser des jeunes qui sont en questionnement aujourd’hui.

Je partage votre analyse et je pense que ma collègue Mme Milquet, au niveau de la Fédération Wallonie-Bruxelles, fait bien son travail pour ce qui concerne les actions qui doivent être menées. Nous devons les renforcer et utiliser ces outils pédagogiques.

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CR n°26 (2015-2016), Janvier 2016, pp. 13-19