Interpellation sur les programmes de coopération au développement en République démocratique du Congo

Interpellation de Monsieur Gaëtan VAN GOIDSENHOVEN, Député, adressée à Madame Céline FREMAULT, Ministre du Collège de la Commission communautaire française, en charge de l’Aide aux personnes handicapées, de l’Action sociale, de la Famille et des Relations internationales,

concernant les programmes de coopération au développement en République démocratique du Congo.

M. Gaëtan Van Goidsenhoven (MR).- La République démocratique du Congo (RDC) bénéficie, selon le rapport d’activité 2015 de Wallonie-Bruxelles international (WBI), d’un montant total d’un million d’euros, ce qui en fait le premier pays partenaire de la Belgique en matière de coopération au développement. La Commission communautaire française, dans ce montant, intervient à hauteur de 107.000 euros sur un total de 232.000 euros octroyé à WBI. À titre d’information, la Fédération Wallonie-Bruxelles intervient à hauteur de 608.000 euros dans la coopération avec la République démocratique du Congo. Au total, en additionnant les crédits de WBI émanant de la Région wallonne et des crédits « bourses », la République démocratique du Congo a bénéficié, pour la seule année 2015, d’un montant exact de 1,326 million d’euros.

Le programme triennal de coopération entre la RDC et WBI a été signé en octobre 2014. Il court sur les années 2015 à 2017 et a défini les thématiques suivantes comme prioritaires : l’agriculture, la culture, l’éducation, la formation professionnelle et la gouvernance. Une vingtaine de projets sont couverts par ce programme triennal.

Je souhaiterais m’attarder sur le volet de la gouvernance, pour lequel le soutien aux initiatives de la société civile en faveur du débat démocratique dans le futur processus électoral a centralisé toutes les actions. En particulier, les actions de coopération visaient à soutenir les populations féminines et les jeunes. De même était prévue, dans ce même programme triennal, l’intervention de la Commission communautaire française dans l’appui à l’intégration socio-économique des femmes et dans le secteur de l’éducation.

Nous connaissons les tensions qui agitent le pays à l’approche des élections présidentielles, lesquelles étaient censées se tenir en décembre 2016. C’est sans doute l’occasion d’évaluer l’efficacité de nos actions et leur impact sur la gouvernance en RDC. Récemment encore, plusieurs de nos actions de coopération avaient été interrompues en raison de troubles politiques et sécuritaires dans les pays partenaires.

Comme le mentionne le rapport d’activité 2015 de WBI, cela a été le cas pour le Burundi, avec la décision de suspendre la coopération institutionnelle au printemps 2015, notamment dans le domaine culturel. De plus, la quasi-totalité des projets avaient été ralentis, voire interrompus. Toujours pour le Burundi, un projet de radio mobile avait été soutenu en raison de l’insuffisance d’informations indépendantes dans le pays. Avec le soutien de WBI, il avait par ailleurs été porté par Radio Publique Africaine et quelques journalistes en exil.

Dans ce contexte, pouvez-vous nous dresser le bilan des actions menées dans le cadre de notre coopération avec la RDC sur la thématique prioritaire de la gouvernance ? Ont-elles été possibles ? Quelles ont été les difficultés rencontrées par les coopérants dans ces projets et quelles sont les actions qu’un nouveau plan triennal devrait inclure pour les futurs projets ? Vous est-il possible, par ailleurs, de nous communiquer le nombre de personnes ayant été sensibilisées par les projets de gouvernance ?

Ensuite, comme pour le Burundi, quel est l’état de notre coopération avec la RDC ? Est-elle ralentie, voire interrompue ? Par exemple, le ministère des Affaires étrangères déconseillait, dès le 1er décembre, « tout voyage non essentiel vers ce pays en raison des tensions politiques et du risque de résurgence de nouvelles manifestations ». Il ajoutait : « Les Belges vivant sur place sont invités à évaluer si leur présence […] au cours des semaines à venir est indispensable. »

Pouvez-vous nous dire si les coopérants belges ont également été invités à quitter le territoire ?

Enfin, la situation de la presse étant comparable entre ce que nous avons connu au printemps 2015 au Burundi et ce qu’il se passe actuellement en RDC, une initiative portée par WBI de radio mobile a-t-elle été soutenue ou sera-t-elle soutenue dans un futur proche, comme cela avait été le cas au Burundi ?

[Intervention de Madame El Yousfi]

[Intervention de Monsieur Kompany]

Mme Céline Fremault, ministre.- Merci aux parlementaires qui ont souhaité s’inscrire dans ce débat. Depuis plusieurs mois, la situation politique en République démocratique du Congo est plus que préoccupante. Si elle pouvait apparaître comme extrêmement tendue début décembre, il semble que le dialogue politique ait pu prévaloir, non sans heurts et situations dramatiques.

Les efforts de concertation menés par la conférence épiscopale congolaise sont d’ailleurs remarquables. Nous pouvons nous réjouir de la conclusion de cet accord authentiquement congolais, conclu entre Congolais et signé par la plus grande partie de la classe politique. Comme tout le monde au sein de cette assemblée, j’espère que la paix parviendra à s’imposer dans les différentes provinces du pays, même si certaines sont en proie à des violences terribles.

Nous espérons également tous que les libertés fondamentales seront promues par cet accord, que des élections libres, démocratiques, pacifiques et transparentes verront le jour au cours de l’année 2017.

Toutefois, il conviendra de rester extrêmement vigilants à la mise en œuvre de cet accord et aux mesures qui seront effectivement prises en vue du rétablissement de l’espace démocratique et des droits et libertés des Congolais et Congolaises.

La situation au Congo-Kinshasa et la perspective d’une sortie de crise en font un cas différent de celui du Burundi, avec lequel Wallonie-Bruxelles International (WBI) a cessé toute coopération. La prudence est de mise et les services administratifs veillent à se tenir constamment au courant de l’évolution de la situation sur place.

La République démocratique du Congo est l’un des pays avec lequel l’ensemble des entités de WBI, dont la Commission communautaire française, entretiennent les coopérations les plus larges. Cela va du secteur de l’éducation à celui de la santé, en passant par l’agriculture ou le droit des femmes. WBI est dès lors physiquement présent sur place, tout d’abord d’un point de vue diplomatique avec la délégation Wallonie-Bruxelles de Kinshasa et le bureau de Lubumbashi, culturel ensuite, avec le Centre Wallonie-Bruxelles de Kinshasa.

La délégation permet de faire l’évaluation des projets sur place, mais conduit également des missions de prospection, de mise en réseau des opérateurs et de contact avec les autorités officielles, nationales et provinciales. Les missions de terrain des fonctionnaires ou les missions ministérielles, comme celle que j’ai eu l’occasion de mener en septembre 2015 à Kinshasa, permettent également d’évaluer l’évolution des projets sur place et de faire de la prospection en vue de futurs partenariats ou mises en réseau.

Tous les trois ans, une commission mixte permanente (CMP) réunit les autorités congolaises et Wallonie-Bruxelles international (WBI) dans ses différentes composantes pour discuter du programme de travail commun des trois années à venir, fixer des objectifs généraux et opérer une sélection des projets menés conjointement par le monde associatif belge francophone et les opérateurs congolais.

Pour la Commission communautaire française, les priorités sont effectivement le soutien à la gouvernance via la promotion des acteurs de terrain, la santé et l’éducation. Ce sont deux thématiques transversales qui se retrouvent effectivement dans nos projets, avec un soutien accru aux jeunes et aux femmes, notamment dans leur intégration socio-économique.

Dans le cadre de la CMP 2015-2017, deux projets sont estampillés Commission communautaire française. Le premier se fait en collaboration avec le Gouvernement de la province de Kinshasa et concerne la contribution à la rénovation d’écoles, à hauteur de 15.000 euros par an. En 2015 et 2016, l’école désignée était l’école Notre Dame de Fatima à Kinshasa, en 2014 le lycée de Tshatshi. Ce programme, qui a été initié en 2008, se poursuit à ce jour et donne globalement satisfaction.

Le deuxième projet concerne la formation d’enseignants aux problématiques de citoyenneté, de démocratie et de promotion des droits de l’homme, pour 16.000 euros. C’est principalement via ces formations que la partie Commission communautaire française de WBI accentue son travail sur la thématique de la gouvernance.

Ces formations décentralisées sont données par l’asbl Laïcité et humanisme en Afrique centrale, en lien avec la Maison de la laïcité de Kinshasa, et ce depuis 2008. Chaque année, ce sont entre 40 et 50 enseignants qui suivent ces formations dans une province particulière du Congo. Les cours comprennent également la formation des formateurs, afin de pouvoir diffuser le message le plus largement possible. Pour l’instant, les cours sont momentanément interrompus, étant donné la situation politique. Ils doivent reprendre prochainement.

Ce ne sont pas là les deux seuls projets que la Commission communautaire française mène via WBI, car d’autres sont soutenus indépendamment des CMP. Par exemple, la maternité de Selembao, construite en 2014, s’est vu accorder un nouveau subside pour ses frais de fonctionnement, pour 7.000 euros en 2016. Nous cherchons actuellement d’autres pistes de financement, notamment via un partenariat avec la province de Kinshasa. J’ai d’ailleurs eu l’occasion d’aller sur place et de rencontrer les opérateurs.

D’autres projets ont vu le jour depuis 2015 à Kinshasa : un soutien à la Fistula Clinic de l’hôpital Saint-Joseph de Kinshasa (10.000 euros en 2016), qui vient en aide aux femmes souffrant de fistules, et une subvention aux maisons médicales de la Ville de Bruxelles (5.000 euros en 2016), qui tentent d’implanter un système analogue au Congo.

Par ailleurs, des projets ont été soutenus via un article budgétaire de la Commission communautaire française, visant de petits projets sur une base annuelle. Un orphelinat au Kivu a ainsi été soutenu à hauteur de 3.000 euros, ainsi qu’un centre de formation professionnelle dans la région de Kinshasa, également pour 3.000 euros.

J’en viens à l’émancipation des femmes. Face aux violences extrêmes subies par les femmes dans l’est du Congo, WBI, conformément aux décisions prises lors de la dernière CMP, a commencé fin 2015 à soutenir un projet d’aide au relèvement économique des femmes vulnérables du Sud-Kivu par un fonds d’investissement géré par Louvain Coopération et ses partenaires congolais. En 2016, ce projet a appuyé l’octroi de 25 microcrédits en faveur de 446 femmes et 72 hommes regroupés au sein de 25 mutuelles de solidarité, dans le but de renforcer leur capacité économique et d’améliorer leur considération au sein de la société.

Les micro-projets ont été mis en place dans les domaines de l’agriculture, de l’élevage et du petit commerce. Les femmes bénéficiaires ont témoigné du fait que ce projet leur avait permis de renforcer la cohésion de leur groupe et de retrouver une certaine considération dans leur communauté, voire dans leur famille.

La deuxième phase du projet visera à appuyer le lancement de cinq nouveaux micro-projets, ainsi que le suivi et l’accompagnement de ceux déjà en cours. L’intervention financière de WBI dans ce projet, soutenu par ses différentes parties, s’élève à 20.000 euros. La Commission communautaire française a d’ailleurs été pionnière du projet, puisqu’elle a alloué les premiers subsides en 2015, à savoir les 40.000 euros qui ont servi de fonds de roulement pour ces microcrédits.

La situation politique influe bien évidemment sur les projets en cours. Certains sont momentanément interrompus, tandis que d’autres sont poursuivis. Nous veillons donc au respect du suivi de la CMP dans la mesure du possible.

S’agissant de l’envoi de coopérants belges sur le territoire congolais, WBI conseille de rester attentif aux avis du ministère des Affaires étrangères et préconise de ne réaliser, pour l’instant, que les missions vitales. Toutefois, certaines missions sont remplies par des opérateurs se trouvant déjà sur le territoire congolais.

La sécurité du personnel de la délégation Wallonie-Bruxelles à Kinshasa et à Lubumbashi a été gérée par notre déléguée de Wallonie-Bruxelles International, restée à Kinshasa durant toute la période des négociations, et ce en bonne intelligence avec l’ambassade de Belgique et le consulat. Nous n’avons heureusement eu à déplorer aucun incident.

Enfin, en ce qui concerne l’information et la liberté de la presse, notons que, d’après les informations de WBI recueillies sur place, si la presse fonctionne plus difficilement pour le moment, la majorité des organes de presse continuent leur travail, même si quelques-uns ont été fermés.

Ici encore, les services administratifs notent que la situation est différente de celle observée au Burundi, même si, bien évidemment, elle est loin d’être optimale. Encore une fois, nous pouvons espérer que la liberté et la pluralité de la presse seront garanties et renforcées. L’idée de la radio mobile au Burundi est une initiative de la Fédération Wallonie-Bruxelles, mais une pareille idée pourrait également voir le jour dans le cadre de la CMP 2018-2020.

Pour conclure, je pense, à l’instar de mes collègues en Fédération Wallonie-Bruxelles et en Région wallonne, qu’il faut maintenir autant que possible les liens avec le Congo, surtout en ces temps plus que troublés, tout en tenant compte de la situation réelle et en prenant les mesures de sécurité adéquates.

Notre collaboration avec le Congo et avec sa société civile n’a pas seulement un but de coopération au développement, mais poursuit également des objectifs d’autonomisation et de promotion des valeurs démocratiques et des droits de l’homme et de la femme. Ces principes fondamentaux sont rappelés et actés lors de chaque CMP, avec quelque pays que ce soit, et valorisés autant que possible lors de nos actions de coopération.

J’espère ainsi avoir fait un tour complet des thèmes abordés dans votre interpellation. Si vous désirez des chiffres plus précis quant au nombre de bénéficiaires ou d’acteurs de tel ou tel projet, mon cabinet et les services administratifs vous apporteront les informations complémentaires.

La coopération avec la RDC est extrêmement importante. Nous avons à cœur, autant que possible, de mener à terme les objectifs fixés pour la présente CMP. En fonction de l’évolution de la situation politique, nous pouvons décider de poursuivre ou de suspendre les actions de coopération.

Cela n’empêche jamais de soutenir des projets émanant de la société civile. Maintenir le lien est extrêmement important et, en fonction de l’évolution de l’actualité politique, nous verrons toujours quelle mouture pourra prendre la prochaine CMP 2018-2020, en tenant bien entendu compte de l’avis du ministère des Affaires étrangères.

Je le dis et le répète, car c’est extrêmement important : toutes les actions que nous menons se font dans un cadre de valorisation et de promotion des valeurs citoyennes et démocratiques. 

M. Gaëtan Van Goidsenhoven (MR).- La ministre a évoqué tout le périmètre des actions modestes, mais essentielles, que nous menons en RDC. Les temps sont troublés, mais nous espérons que nous pourrons poursuivre cette collaboration dans les meilleures conditions. L’avenir nous dira si la situation va vers une amélioration ou si la « burundisation » va s’intensifier.

Même dans ce cas, notre coopération reste utile, mais elle doit se faire dans un cadre soutenable. Je ne doute pas que vous-même et WBI y serez attentifs.

 

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CR n°44 (2016-2017), Janvier 2017, pp. 21-25