Interpellation sur les activités dans le cadre de la Journée internationale de la Francophonie

Interpellation de Monsieur Gaëtan VAN GOIDSENHOVEN, Député, adressée à Madame Fadila LAANAN, Ministre-Présidente du Collège de la Commission communautaire française, en charge du Budget, de l’Enseignement, du Transport scolaire, de l’Accueil de l’enfance, du Sport et de la Culture

concernant les activités dans le cadre de la Journée internationale de la Francophonie.

M. Gaëtan Van Goidsenhoven (MR).- Le 20 mars, comme chacun sait, est la date fixée pour célébrer la Journée internationale de la Francophonie. Plus qu’une journée internationale, ce moment est une opportunité supplémentaire de nous rappeler la somme des valeurs, des aspirations et des lignes de défense que partagent près de 80 États et gouvernements.

Vous connaissez mon attachement à ce lien qui nous unit et rassemble maintenant près de 274 millions de locuteurs à travers le monde. Pourtant, la défense de la langue française, si elle est un socle commun à tous ceux qui entrent dans la francophonie, n’est pas le seul leitmotiv qui structure les actions de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Démocratie, droits de l’homme, défense de l’environnement, jeunesse, sport et culture sont autant de fondements qui lient les membres d’une nation bien au-delà d’une langue qu’ils auraient en partage.

Ernest Renan nous rappelait, dans son discours intitulé « Qu’est-ce que la Nation ? », que les nations sont bâties sur des États, mais qu’elles reposent avant toute chose sur la volonté commune de leurs membres de vivre ensemble, et que cela suppose l’adhésion volontaire des peuples à un même idéal.

C’est exactement ce que représente la francophonie pour les États membres et citoyens qui en font partie, et c’est un idéal et un objectif dont la Commission communautaire française se veut également être la défenderesse.

Je souhaiterais que nous abordions une autre thématique que j’ai eu plusieurs fois à cœur de mettre au goût du jour par le passé. Il s’agit de celle relative aux collaborations entre la Commission communautaire française et l’OIF et, plus concrètement, à l’implication de la Commission communautaire française – voire son intégration – dans le réseau de la francophonie.

Quelles sont ces collaborations et quelles sont les pistes fructueuses que vous avez privilégiées ? Il y a, bien évidemment, la participation de la Commission communautaire française au sein de la francophonie sous le prisme de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Au-delà de cela, quelles sont les collaborations directes qu’entretiennent la Commission communautaire française et l’OIF ? Bruxelles a évidemment un rôle particulier à jouer sur l’échiquier de la francophonie internationale. Quelles sont donc les modalités de mise en œuvre que vous avez dernièrement déployées ?

L’an dernier, vous nous faisiez part des quatorze accords de coopération bilatérale conclus par le collège de la Commission communautaire française avec des pays appartenant majoritairement à la francophonie. Sur le plan de la coopération multilatérale, vous nous rappeliez la volonté de créer, en partenariat avec l’OIF et en impliquant l’Institut Émile Gryzon, un incubateur au Togo et en Côte d’Ivoire sur la chocolaterie.

Un autre projet, porté cette fois par Mmes Jodogne et Fremault, visait à renforcer les liens avec des associations issues de pays de la francophonie qui sont actives dans les domaines de la santé, de la cohésion sociale, de la culture et du sport. Enfin, il avait par ailleurs été question de soutenir le réseau francophone dédié à l’égalité hommes-femmes. Mme Teitelbaum y sera sensible. Où en sont ces projets ? Quelles en sont les avancées et avez-vous d’autres pistes de collaboration à nous annoncer ?

Madame la ministre-présidente, la période qui vient de s’achever et qui suit le 20 mars est justement un moment propice pour répéter à quel point il est primordial que la Commission communautaire française se saisisse de l’importance que revêt la francophonie, pour notre institution et pour le rayonnement de Bruxelles à l’international, mais aussi pour le million de Bruxellois francophones qui y vivent.

Notre institution est en effet en charge du bien-être du million de francophones bruxellois qui résident dans notre Région. Ce bien-être se doit bien sûr de passer par la culture et la langue que nous véhiculons. Pourtant, là où j’y vois une déclaration de principe de la Commission communautaire française, je m’étonne du peu d’activités organisées dans le cadre de la Journée internationale de la Francophonie, et en particulier dans les thématiques culturelles.

Ainsi, le site de la francophonie spécialement consacré au 20 mars informe sur la quantité et la nature des événements organisés de par le monde, par pays, à cette occasion. C’est donc en consultant ce site que j’ai appris que deux événements à peine étaient annoncés dans ce cadre en Belgique. Chose surprenante, aucune de ces activités n’était prévue pour la journée ou la soirée du 20 mars.

Dès lors, nous apprenons qu’un événement a eu lieu le soir du 16 mars à Bruxelles, pour la tenue du spectacle de théâtre Fugato Labile pour Camille Claudel, organisé par l’Institut culturel roumain. Le second événement s’est tenu à Anvers le lundi 27 mars et a consisté en un entretien littéraire avec Jean-Marie Rouart, de l’Académie française.

Madame la ministre-présidente, entendez mon propos et comprenez mon étonnement lorsque je constate que deux événements seulement – dont un à Anvers ! – sont inscrits sur la plate-forme officielle de la francophonie pour la Belgique, alors qu’un pays comme le Vietnam en compte trois, que la France en compte neuf, et que l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient comptent trois événements, tels qu’un festival du film – le Francofilm – qui s’étale sur plus de dix jours, un salon du livre sur cinq jours, et des conférences et débats qui se sont enchaînés pendant deux jours.

Faut-il rappeler les contributions budgétaires des Belges francophones à l’institution de la francophonie ? Pourquoi ne retrouvons-nous pas cet intérêt dans la promotion d’activités sur notre territoire ?

L’an dernier, le site officiel du 20 mars ne répertoriait pas moins de seize événements consacrés à la Journée internationale de la Francophonie en Belgique, dont quatre étaient organisés par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Pourquoi un tel écart entre le dynamisme particulier de l’an dernier et la relative apathie de cette année ? Est-ce une question de budget ? Mais dans ce cas, comment expliquer que l’Afrique et le Moyen-Orient soient moins affectés que nous et comptabilisent bien plus d’événements ?

Certes, il faut être clair : c’est à l’organisateur de l’événement de s’inscrire sur le site officiel 20mars.francophonie.org et plusieurs rencontres, autres que celle de Bruxelles et Anvers, ont été organisées sans être répertoriées sur ce site. Par exemple, l’édition du 18 mars de L’Écho annonçait diverses campagnes : Dis-moi dix mots, Alphabetville, La Langue française en fête et Vos Pouces.

Alors que les communes de Saint-Gilles, Molenbeek, Watermael-Boitsfort et la Ville de Bruxelles ont participé à la campagne Dis-moi dix mots, nous nous étonnons de l’absence d’implication de la Commission communautaire française dans ce projet. Parmi les projets que je viens de citer, seul le projet Alphabetville fait mention du logo et du soutien de la Commission communautaire française sur son site internet. Il s’avère même que, dans le cadre du projet Dis-moi dix mots, Pierre Kroll expose jusqu’au 1er avril dix illustrations dans les bibliothèques communales de Woluwe-Saint-Pierre et Woluwe-SaintLambert, ainsi que dans l’espace public.

Alors que ces événements généraliseraient la visibilité de la Commission communautaire française, qu’est-il concrètement mis en œuvre au niveau de notre institution pour se saisir de l’outil de rayonnement culturel qu’est la francophonie ?

Enfin, je terminerai mon intervention en espérant que l’année prochaine, dans le cadre de l’annonce de la Journée internationale de la Francophonie relayée par l’OIF, la présence des initiatives francophones bruxelloises soit plus clairement désignée. Je souhaite que nous puissions, au travers de cet événement, marquer notre présence et notre volontarisme dans le cadre de cette expression formidable qu’est la francophonie internationale.

[Intervention de Monsieur Diallo]

[Intervention de Madame Persoons]

[Intervention de Monsieur Fassi-Fihri]

Mme Fadila Laanan, ministre-présidente.- Monsieur Van Goidsenhoven, c’est toujours un plaisir pour moi d’écouter vos interventions. Aujourd’hui cependant, votre interpellation trahit la grande fatigue dans laquelle vous deviez vous trouver au moment où vous l’avez rédigée. Vos références, en effet, sont pour le moins discutables.

Prenons d’abord celle à Ernest Renan, que vous encensez. Ainsi que M. Diallo l’a rappelé, sachez que cet auteur est l’une des sources d’inspiration de la pensée d’extrême droite, qui est notoirement antisémite. Et je n’ose croire que vous souhaitez voir notre institution s’en inspirer.

Permettez-moi de citer un extrait, bref mais éloquent, de la pensée de ce M. Renan : « En mettant à part les races tout à fait inférieures (les sémites), dont l’immixtion aux grandes races ne ferait qu’empoisonner l’espèce humaine, je conçois pour l’avenir une humanité homogène ». Et si cela ne vous suffit pas, voici une autre citation : « L’islam, c’est l’épouvantable simplicité de la pensée sémitique, rétrécissant le cerveau humain ».

Personnellement, je rejette en bloc ce type de pensée. Lorsque l’on cite les propos tenus par Renan sur la culture, on ferait bien de se souvenir que ce personnage défend une ethnologie centrée sur l’opposition entre Aryens et Sémites. Je vous répondrai donc que mon Gouvernement ne partage pas cette conception de la francophonie. Je suis persuadée que ce n’est pas votre cas non plus.

Votre interpellation, Monsieur Van Goidsenhoven, est en tous points conforme à celle que vous m’avez adressée l’année dernière, à l’exception de cette malheureuse référence. Où l’on voit l’importance de vérifier ses sources et la personnalité des auteurs que l’on cite ! Nous sommes tous confrontés à la nécessité de faire attention à ce que nous écrivons.

S’agissant des autres points que vous avez abordés, je commencerai par votre affirmation selon laquelle il n’y aurait eu que deux événements organisés dans le cadre des festivités du 20 mars. C’est totalement inexact ! Laissez-moi vous citer quelques événements, que l’on retrouve facilement sur internet en tapant « Journée internationale Francophonie ».

Le 20 mars aux Halles Saint-Géry, quinze artistes originaires du Bénin, du Cameroun, du Gabon, de Guinée-Conakry, de Madagascar, du Québec, d’Haïti, de la République démocratique du Congo, du Sénégal, du Togo et de la Fédération Wallonie-Bruxelles ont présenté des textes originaux.

Au Botanique, un spectacle s’est inscrit dans le cadre du vingtième anniversaire de l’accord de coopération entre la Fédération Wallonie-Bruxelles et Haïti.

Je citerai également le programme Semaine de la langue française en fête, qui regroupe de nombreuses activités en Région bruxelloise, notamment à Woluwe-Saint-Lambert et Woluwe-Saint-Pierre, ainsi que le projet Nos langues françaises, présenté au Théâtre 140, à Schaerbeek, en collaboration avec le théâtre des Doms. Enfin, la Maison de la francité organise de nombreuses activités autour de la campagne annuelle qui encadre le 20 mars.

Je partage avec Mme Persoons le souhait de renforcer les partenariats et les soutiens aux associations et centres culturels, comme nous le faisons pour les fêtes du 27 septembre. Toutefois, nous n’avons pas reçu de demande en ce sens.

Monsieur Van Goidsenhoven, sachez que de nombreuses autres activités sont organisées à l’initiative des délégations et bureaux de la Fédération Wallonie-Bruxelles à l’étranger.

Vous le voyez, nous ne sommes pas en reste, et je comprends dès lors très mal pourquoi vous évoquez essentiellement l’événement d’Anvers.

Je sais que beaucoup de membres de votre groupe politique ont les yeux rivés sur Anvers et admirent son bourgmestre, mais moi, je préfère regarder Bruxelles, travailler pour Bruxelles et faire rayonner Bruxelles. J’imagine que c’est votre cas également.

Je vous avoue mal cerner les tenants et aboutissants de votre question sur les accords-cadres, car il existe des dizaines d’accords et il me faudrait plus que cette séance pour vous en parler. Dès lors, si vous reformulez votre question, je suis certaine que ma collègue Céline Fremault, en charge des Relations internationales, vous en dessinera les contours avec plaisir.

Sur la question du genre et de l’égalité entre les femmes et les hommes, nous avançons bien. En témoigne le soutien au Réseau francophone pour l’égalité femme-homme (RF-EFH), qui se concrétise via la participation de l’organisation non gouvernementale Le Monde selon les femmes, financée par la Commission communautaire française, et membre fondateur du RF-EFH.

Ensuite, je vous rappelle qu’un colloque a été organisé récemment à Paris par la Commission communautaire française : « Bruxelles-sur-Seine, de la fin des territoires à l’émergence de communautés plurielles ». Plus de 120 représentants, tant Bruxellois que Franciliens, d’expériences urbaines, confrontés quotidiennement aux réalités multiformes de la diversité, ont débattu de cette question. Ces journées constituaient la première étape d’un processus de création de maillage en co-construction. Ce qui se fait ailleurs est en effet porteur de réponses novatrices et la mise en réseau est source d’innovation.

En ce qui concerne la valorisation de Bruxelles sur le plan multilatéral, de nombreux projets sont effectivement en cours. J’ai d’ailleurs rencontré dernièrement la ministre québécoise des Relations internationales et de la Francophonie, Mme Saint-Pierre, afin de raffermir encore les liens qui nous unissent. Nous avons parlé d’échanges culturels en matière de théâtre, de traités internationaux, etc.

Je vais vous faire l’économie d’un trop long discours, puisque vous insistez surtout sur les contacts en matière de création d’un incubateur en chocolaterie en Côte d’Ivoire et au Togo avec l’Institut Émile Gryzon. Ces contacts sont noués et nous avançons sous les auspices de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), et plus particulièrement de sa secrétaire générale, Michaelle Jean, que j’ai rencontrée à plusieurs reprises et avec qui je suis en contact dès que l’occasion se présente. Concrètement, le projet de création d’une filière en chocolaterie en Côte d’Ivoire a fait l’objet d’une mission en février dernier et d’une mission officielle de la secrétaire générale de l’OIF en cette fin mars.

S’il fallait ajouter quelque chose pour répondre à vos questions sur le manque d’action ou de valorisation du français dont nous serions coupables, sachez qu’à côté de nos actions culturelles et autres, nous nous soucions aussi de la valorisation du français langue étrangère (FLE). En effet, nous soutenons l’Alliance française de Bruxelles-Europe, centre européen de langue française, dont la mission principale est de faire découvrir et de diffuser la langue française et les cultures francophones. Elle fait partie d’un réseau national de neuf alliances en Belgique, réparties entre les trois communautés linguistiques, et d’un réseau mondial d’environ 1.085 associations de droit local, implantées dans plus de 100 pays.

J’ai dit à Mme Persoons que nous acceptons les suggestions et que nous favoriserons les projets qui existent.

Je remercie M. Diallo pour son intervention et pour avoir rappelé qui était Ernest Renan.

Monsieur Fassi-Fihri, je partage votre idée par rapport au Brexit et au fait que le français pourrait redevenir l’une des langues principales de l’Union européenne. J’ignore cependant s’il appartient à la Commission communautaire française d’être le seul porte-drapeau de cette ambition. Même si je suis fière de notre assemblée et de notre institution, restons modestes ! 

M. Gaëtan Van Goidsenhoven (MR).- On vient de me répondre qu’énormément d’activités organisées dans notre pays à l’occasion de la Journée internationale de la Francophonie étaient listées sur le site de l’OIF. Notre collègue nous a dit qu’il y en avait finalement eu quatre. Or, à quelques jours des événements, il n’y en avait que deux !

Je les ai moi-même citées. L’une d’elles était située à Anvers. Je ne vous ai pas dit cela pour m’en féliciter, mais parce que je trouvais que c’était un comble en la matière.

Des événements auraient manifestement pu être mis en lumière par ce biais. Certains le furent manifestement tardivement et je crois que c’est une occasion manquée, qui démontre que nous n’avons pas le réflexe, entre francophones dans ce pays, de nous positionner plus activement et de façon plus volontariste au sein de la francophonie internationale. Nous oublions parfois que nous en faisons partie.

C’est pour cela que je vous interpelle à nouveau chaque année à ce propos. Contrairement à ce qui a été dit, mon interpellation est d’ailleurs différente d’année en année. D’ailleurs, je suis revenu aujourd’hui sur un certain nombre de déclarations que vous aviez faites l’année dernière, Madame la ministre-présidente. Le but était simplement de vérifier si les initiatives que vous aviez annoncées avaient évolué, si elles avaient fait l’objet d’un suivi. C’est l’une des missions des parlementaires.

Quant à l’appel de M. Fassi-Fihri à propos du poids de la langue française au sein de l’Europe, la question se posera une fois que la Grande-Bretagne aura quitté l’Union européenne. C’est un débat que certains défenseurs de la langue française ont déjà mené, en France et ailleurs.

Je l’encourage à le poursuivre, mais nous pourrions aussi regarder la situation à Bruxelles et dans nos institutions. Est-il vraiment très opportun, dans une ville-région essentiellement francophone, de remplacer les noms de tous nos organismes régionaux par des noms anglais ? Est-ce que citydev.brussels travaille beaucoup mieux depuis que son nom a changé ?

La volonté de promouvoir la langue française, que nombre d’entre nous partagent, passe aussi par des décisions quotidiennes et une attention particulière aux outils et gestes tout simples qui forgent la réalité francophone. Celle-ci n’émane pas que de grands discours, mais aussi d’actions quotidiennes et de notre vigilance à éviter de faire toutes sortes de concessions facultatives.

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CR n°47 (2016-2017), Mars 2017, pp. 21-26