Interpellation sur l’adhésion de nouveaux Etats membres lors du sommet de la Francophonie d’Erevan

Interpellation de Monsieur Gaëtan VAN GOIDSENHOVEN, Député, adressée à Monsieur Rudy DEMOTTE, Ministre-Président du Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, en charge des Relations internationales,

concernant «l’adhésion de nouveaux États membres lors du sommet de la Francophonie d’Erevan»

M. Gaëtan Van Goidsenhoven (MR). – Lors d’une rencontre à l’Élysée entre le président français et le chef du gouvernement irlandais, il a été question d’intégrer l’Irlande dans l’espace de la Francophonie institutionnelle. Si Dublin compte effectivement poser sa prochaine candidature en tant que membre observateur de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), aucune décision ne sera arrêtée avant le prochain sommet de la Francophonie qui doit avoir lieu à Erevan, en Arménie, d’ici la fin de l’année 2018.

Concrètement, avoir le français comme langue commune relie entre eux tous les États membres de la Francophonie et permet d’assurer tant leur cohésion que l’originalité de la communauté francophone dans le monde. Que le français ne soit pas une langue officielle dans le pays requérant ne constitue pas un obstacle à son adhésion. C’est à la place du français dans le pays concerné que se juge le critère linguistique des différentes demandes d’adhésion soumises lors des sommets de l’institution. En effet, il suffit de fournir «une démonstration détaillée d’une situation satisfaisante de l’usage du français» pour remplir ce critère linguistique.

Les autres conditions d’adhésion, qui ont été rappelées dans le cadre stratégique de la Francophonie, nécessitent indissociablement et impérativement l’adhésion volontaire du pays requérant aux principes et valeurs de l’OIF, tels qu’ils sont établis à l’article 1er de la Charte de la Francophonie. Parmi ceux-ci, notamment: l’instauration et le développement de la démocratie, la prévention, la gestion et le règlement des conflits, et le soutien à l’État de droit et aux droits de l’Homme ou encore l’intensification du dialogue des cultures et des civilisations. L’article 1er rappelle par ailleurs que la Francophonie respecte la souveraineté des États, leurs langues et leurs cultures; elle observe la plus stricte neutralité dans les questions de politique intérieure.

Enfin, chaque pays requérant doit avoir préalablement adhéré au Traité de Niamey avant de soumettre sa candidature lors d’un sommet. La Conférence ministérielle de la Francophonie, réunie à huis clos, analyse alors la candidature et transmet ses recommandations aux chefs d’État et de gouvernement lors du sommet suivant. La décision finale doit être prise à l’unanimité des États membres.

En vertu de toutes les informations qui pré- cèdent, je souhaiterais faire le point avec vous sur l’état, le nombre et la pertinence des différentes demandes d’adhésion en cours au sein de la Francophonie institutionnelle. Confirmez-vous les informations selon lesquelles l’Irlande serait déjà candidate? Puisque le prochain sommet se tiendra à Erevan à la fin de l’année 2018, quel est le délai dont dispose l’Irlande pour déposer officiellement sa candidature? En admettant que celle-ci soit acceptée et approuvée d’ici fin 2018, une multiplication de nos actions bilatérales avec l’Irlande est déjà étudiée. Quel impact cette candidature peut-elle avoir sur la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB)?

Par ailleurs, de quelles informations disposez-vous quant aux éventuelles autres candidatures et leurs conséquences? Par exemple, il avait été question lors du précédent sommet de voir l’Arabie saoudite intégrer l’espace francophone. Une nouvelle demande d’adhésion de ce pays est-elle envisagée lors du sommet d’Erevan? Quelle position y défendra la FWB vis-à-vis de cette candidature en particulier? De même, sachant que la Thaïlande, par exemple, a été suspendue des instances de la Francophonie depuis juin 2014, une actualisation de son statut, voire de sa qualité de membre, est-elle envisageable lors du prochain sommet? La question de la sortie définitive de la Thaïlande a-t-elle déjà été abordée lors de rencontres précédentes?

Enfin, le sommet d’Antananarivo de novembre 2016 a fixé la répartition et la qualité des pays membres comme suit: 54 membres dits «de plein droit», 4 membres «associés» et 26 membres «observateurs». D’après vous, quels sont les critères ou motifs qui justifient et expliquent cette différence de statuts entre les membres de la Francophonie?

M. Jean-Claude Marcourt, vice-président et ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et des Médias. – Monsieur le Député, votre interpellation m’offre avant tout l’occasion d’attirer l’attention de l’assemblée sur l’attractivité croissante des valeurs humaines fondamentales que porte la Francophonie. Aujourd’hui, en effet, une majorité de membres de l’OIF, toutes catégories confondues, n’ont le français ni comme langue officielle, ni comme langue nationale, ni comme langue de travail. Cette réalité, à priori paradoxale, démontre en fait que l’intérêt manifeste pour notre famille francophone par plusieurs dizaines d’États et de gouvernements, principalement d’Europe de l’Est, va au-delà du simple partage d’une langue. Cela nous amène à dépasser également les seuls critères d’ordres linguistique et culturel pour apprécier valablement les volontés d’adhésion. Cette réalité n’induit cependant pas un éparpillement des ressources dont dispose l’OIF, pas plus que l’obligation d’instituer une coopération bilatérale entre membres.

Pour ce qui concerne l’organisation elle-même, ses actions sont prioritairement orientées vers les pays du Sud et de surcroît membres de plein droit. Quant aux États et gouvernements qui la composent, leurs politiques bilatérales sont fonction des orientations respectives souverainement décidées. Pour parler concrètement, une éventuelle adhésion de la République d’Irlande n’induirait pas mécaniquement une réorientation de nos budgets consacrés aux relations bilatérales. C’est d’ailleurs dans cet esprit que vous-même placez votre interpellation. Et je vous confirme que c’est cette orientation qui justifie que la procédure d’adhésion à la Francophonie et celle de la modification du statut d’un membre sont à la fois périodiques, longues, multiformes et complexes. Son évocation me permettra d’ailleurs d’apporter des éléments de réponse à vos interrogations.

Premièrement, cette procédure est strictement périodique dans le sens où un État ou un gouvernement qui souhaite en bénéficier ne peut y recourir que dans la perspective de la tenue d’un sommet des chefs d’État ou de gouvernement, lequel se tient tous les deux ans.

Deuxièmement, il s’agit d’une longue procédure, dans le sens où tout candidat à une adhésion ou à une modification des statuts doit saisir l’État ou le gouvernement qui exerce la présidence de la Francophonie au moins six mois avant la tenue du sommet appelé à statuer.

Toujours à titre d’exemple, si la République d’Irlande envisageait de solliciter son adhésion au sommet d’Erevan, sa candidature devrait être introduite en avril 2018. Ce délai s’explique par la succession d’étapes institutionnelles que la candidature devra parcourir. Le caractère uniforme et incompressible de six mois exclut donc, par principe, toute distinction de rythme dans le traitement des candidatures.

Troisièmement, la procédure est multiforme, avec autant de conditions distinctes, y compris financières, à satisfaire qu’il existe de formes. Soit il s’agit, pour un État ou un gouvernement, de solliciter son adhésion à la Francophonie, auquel cas le candidat est libre de souhaiter adhérer comme observateur, membre associé ou encore membre de plein droit. Soit il s’agit d’un État ou d’un gouvernement déjà membre souhaitant une modification de son statut, pour passer du statut d’observateur à celui de membre associé ou du statut de membre associé à celui de membre de plein droit. 

En conséquence, chaque sommet se conclut non pas par la fixation d’une quelconque clé pour l’avenir, mais par une prise d’acte de l’évolution du nombre de certaines catégories de membres et du changement de statut de certains d’entre eux. Là encore, à titre d’exemple, le sommet de Tananarive a acté le nombre de 84 membres, sous des statuts différents, valant jusqu’à l’échéance d’Erevan.

Enfin, il s’agit d’une procédure complexe dans la mesure où toute candidature à une adhésion ou à une modification de statut suit invariablement un même parcours d’instruction, d’avis et de recommandations devant une succession d’instances, dont aucune ne se trouve liée par la précédente, et cela jusqu’au sommet des chefs d’État et de gouvernement. Concrètement, dans un premier temps, le comité ad hoc pour les demandes d’adhésion ou de modification de statut, qui regroupe des délégués de l’ensemble des États et gouvernements membres de plein droit, statue sur la recevabilité des dossiers de candidatures. Dans un deuxième temps, le Conseil permanent de la Francophonie, qui regroupe l’ensemble des représentants personnels des chefs d’État ou de gouvernement et se réunit trimestriellement, en prend acte. Dans un troisième temps, le comité ad hoc instruit les dossiers de candidatures durant autant de sessions qu’il le juge nécessaire.

Dans un quatrième temps, la session du Conseil permanent de la Francophonie se tient. Elle précède la session de la Conférence ministérielle de la francophonie qui regroupe les ministres chargés de la francophonie, siège sur une base annuelle et émet un avis reposant sur les conclusions de l’instruction du dossier mené par le comité ad hoc. Dans un cinquième temps, la Conférence ministérielle de la francophonie émet une recommandation à l’intention du sommet et, dans un sixième temps, le sommet statue. Le sommet de Tananarive de novembre 2016 a, par exemple, décidé de reporter la demande d’adhésion de l’Arabie saoudite en qualité d’observateur afin d’organiser l’envoi d’une mission exploratoire dans cet État. Dans ce cadre, la Fédération Wallonie-Bruxelles a précisé à plusieurs reprises que si elle se réjouit du succès de l’Organisation, elle reste fondamentalement attachée à n’accueillir que des États et des gouvernements qui, dans leur ordre juridique interne, attestent d’un attachement réel aux valeurs que nous portons. Je pense, notamment, à la liberté de religion et d’opinion, la liberté de la presse, la liberté d’expression, le pluralisme politique ainsi qu’aux statuts de la femme.

Enfin, le cas de la Thaïlande ne relève pas des dispositions que j’ai évoquées ci-avant. En effet, ce pays a été suspendu en juin 2014 par le Conseil permanent de la Francophonie pour rupture de l’ordre constitutionnel, conformément à l’article 3 du chapitre 5 de la Déclaration de Bamako. Cette déclaration ne définit pas les modalités d’exclusion d’un membre de l’Organisation, mais la mesure de suspension que j’évoquais, et cette dernière n’est pas limitée dans le temps.

M. Gaëtan Van Goidsenhoven (MR). – Monsieur le Ministre, j’ai pris bonne note des différentes informations relatives à l’évolution de l’OIF qui voit, effectivement, le nombre de pays candidats à l’adhésion se multiplier, du moins au sein de pays qui ne sont pas spécifiquement francophones. Chaque analyse de candidature nécessite un processus assez long et complexe.

Pour le reste, j’entends qu’une mission exploratoire a été diligentée plus particulièrement dans le cadre de la candidature de l’Arabie saoudite. J’espère néanmoins que notre gouvernement restera attentif au fait que le respect de nos valeurs, ou du moins des valeurs les plus essentielles constitue un critère pour les pays adhérents.

J’espère également que lorsque nous serons consultés sur un sujet sensible tel que l’adhésion d’un pays, fût-il influent, nous serons en mesure de nous positionner avec la même rigueur sur la question des principes.

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CRIc n°23-RI4 (2017-2018), Novembre 2017, pp. 4-6