Interpellation de Monsieur Van Goidsenhoven, député, adressée à Madame Laanan, Ministre-Présidente du Collège de la Commission communautaire française
concernant la journée internationale de la Francophonie
M. Gaëtan Van Goidsenhoven (MR).- Le 20 mars n’est pas uniquement le jour où nous nous félicitons de la beauté de la langue française, d’appartenir à une communauté très représentée à Bruxelles et de partager la langue de francophones vivant aux quatre coins du monde. Il est aussi l’occasion de faire le point sur la politique menée pour assurer son rayonnement, son développement au sein de la communauté qu’est la francophonie.
Parce que la vivacité d’une langue et d’une culture ne se décrète pas, mais s’entretient. Cette année, la fréquentation de la Foire du livre était en baisse à Tour & Taxis. Le thème des liaisons dangereuses de 2015 n’aura sans doute pas séduit le public comme espéré. Je le disais, cet attrait pour la langue française, ses acteurs, sa culture… cela s’entretient tout au long de l’année et nous avons de temps en temps l’occasion d’en mesurer les effets.
Fin novembre 2014, le monde francophone s’est retrouvé pour le 15e Sommet de la francophonie réuni à Dakar. En 2012 à Kinshasa, l’absence du Premier ministre Di Rupo à l’édition précédente de l’événement avait été très remarquée. La présence du chef de Gouvernement en 2014 a donc réaffirmé l’intérêt de notre pays, dans son ensemble, d’être représenté sur la scène internationale francophone, et pas uniquement une de ses entités fédérées.
Et cette visibilité de la Belgique, en tant que pays, est importante. En effet, on en oublierait, vu de l’extérieur, qu’il n’y a pas qu’en Wallonie qu’on parle le français et qu’on pratique sa culture. Fin septembre 2014 s’est tenu le Forum francophone de l’innovation, à Namur. En juillet 2015 se tiendra le 2e Forum mondial de la langue française, à Liège. Et Mons est la capitale européenne de la culture.
On cherche décidément la place de Bruxelles dans tout cela. Vous nous disiez, il y a quelques mois, votre volonté d’accueillir à Bruxelles des événements en lien avec la francophonie internationale. Qu’en est-il ?
Je pense qu’en tant que politiques, nous devons toujours garder à l’esprit que nous travaillons dans l’intérêt de tous les citoyens et dans le cadre de nos travaux ici en Commission communautaire française, dans l’intérêt des francophones bruxellois.
Je ne doute pas que vous connaissiez toutes les mesures que vous prenez en faveur de la langue française ou de la francophonie : vous soutenez des initiatives, financez des asbl… Mais qu’en sait le citoyen ? Le citoyen lambda qui fait une recherche basique sur internet en tapant par exemple « fête de la francophonie, 20 mars 2015, Bruxelles » ne trouve en fait pas grand-chose, à moins qu’il soit déjà amateur de concours sur la langue française. Mais là, on parle du public déjà sensibilisé et convaincu.
La Commission communautaire française n’apparaît pas sur des sites comme « 20mars.francophonie.org », bien placé dans les moteurs de recherche qui recense toutes les activités de ce jour de fête de par le monde. La Fédération Wallonie-Bruxelles a son outil « la langue française en fête » qui a une certaine visibilité. Mais qu’en est-il de la Commission communautaire française ? Il faut donc être un initié pour être au courant de vos initiatives.
En tout état de cause, vous ne toucherez au mieux qu’un public restreint. Comment donc, Madame la ministre-présidente, les francophones bruxellois pourront-ils prendre part à cette Journée de la francophonie ? Concrètement, quelle part la Commission communautaire française y prend-elle et quels moyens ont-ils été consentis pour valoriser les événements en lien avec cette journée internationale qui semble autrement mieux valorisée dans de très nombreux pays et régions de par le monde ?
Sur le plan de la promotion de la francophonie et des actions des francophones bruxellois, je cite la déclaration de politique générale : « La Commission communautaire française veillera à améliorer la promotion de son image sur la scène internationale. Des actions de promotion telles que la conception et la réalisation de plaquettes de promotion de l’action des Bruxellois francophones actifs sur la scène internationale seront diffusées à Bruxelles auprès des opérateurs internationaux ». Pouvez-vous nous dire où en est cette action de promotion de la francophonie, comment elle s’est-elle déclinée sur le terrain, pour quel budget et avec quels résultats ?
Enfin, j’aimerais savoir sur quelles études vous vous basez pour mesurer et situer la pratique de la langue française en Région bruxelloise. On considère toujours comme acquis le nombre écrasant de Bruxellois francophones, mais ce constat est-il en train d’évoluer et, si oui, dans quel sens ?
Le fait avait été souligné par l’un de vos prédécesseurs en réponse à une de mes interpellations sur le sujet : « Il y a trop de quartiers à Bruxelles où la langue française ne domine pas (pas plus que le néerlandais). Il y a là réellement une action de fond à mener pour encourager l’usage de la langue française dans la pratique quotidienne, privée et commerciale », disait-il, il y a à peu près trois ans. Mais cela ne s’improvise pas et ce n’est pas non plus en finançant des initiatives isolées que vous pourrez mener une action coordonnée sur toute la Région bruxelloise.
À l’heure où un premier bureau d’accueil des primo-arrivants doit être mis en place du côté francophone, peut-on dire que l’offre de cours de français est suffisante ? J’en doute. Qu’en est-il de l’offre du côté néerlandophone ? Ces deux langues ne doivent pas être en concurrence. Mais le choix de l’apprentissage de l’une ou de l’autre ne doit pas être un choix par défaut et la Commission communautaire française a des moyens d’action en ce sens, mais aussi des obligations. Ce que j’aimerais finalement vous entendre exposer aujourd’hui, Madame la ministre-présidente, à l’occasion de cette fête de la francophonie, c’est une définition de votre vision de la mise en place d’une véritable stratégie francophone.
Il ne s’agit pas seulement de resserrer les liens avec la Région wallonne et la Fédération Wallonie-Bruxelles, comme vous le dites dans votre déclaration de politique générale. Oui, les rencontres entre francophones belges sont importantes, mais doit-on se féliciter sans fin de dialoguer au sein d’un même pays ? J’aimerais entendre la logique d’un plan à moyen et long termes coordonné et négocié avec nos partenaires belges, bien entendu, mais aussi avec d’autres pays de la francophonie, qui impliquerait non seulement la dimension culturelle, mais s’ouvrirait aussi vers d’autres horizons. Pas uniquement une liste d’actions ponctuelles, mais une vraie stratégie globale en faveur de la francophonie.
En cette Journée internationale de la francophonie, il faut aussi témoigner à ces plus de 200 millions de francophones de par le monde solidarité et amitié. J’espère qu’au travers de ce parlement, sans doute modeste, nous aurons à cœur de ne pas oublier que le fondement même de cette institution c’est l’appartenance à cette grande et chaleureuse communauté.
[Intervention de Mme Catherine Moureaux]
[Intervention de M. Hamza Fassi-Fihri]
[Intervention de Mme Caroline Persoons]
Mme Fadila Laanan, ministre-présidente.- Monsieur Van Goidsenhoven, je vous remercie pour cette longue série de questions qui démontrent tout l’intérêt que vous, et l’ensemble des députés qui se sont joints à votre interpellation, portez au sujet. Sachez que comme l’ensemble de mon gouvernement, je partage également cet intérêt.
Votre question me permet de démontrer, une fois de plus, que les missions de la francophonie sont essentielles, spécifiques et indispensables. Je vous l’avais déjà dit, en vous exposant les principales lignes de force de l’accord de gouvernement. J’avais aussi fait état de notre volonté de redéployer et de redonner corps à notre institution.
Constitutionnellement, notre institution est compétente diplomatiquement pour signer des traités internationaux et conclure des partenariats. La Commission communautaire française représente un million de francophones bruxellois, sur le plan international, européen et de la francophonie. Il est donc important de renforcer et de défendre la présence de ces derniers sur la scène internationale, mais aussi de valoriser l’image de Bruxelles dans le monde entier. Je partage l’analyse des divers intervenants sur notre présence plus importante au sein de la francophonie et des institutions internationales.
À ce titre, j’ai pu m’entretenir, pas plus tard que cette semaine, avec la ministre en charge des Relations internationales, Céline Fremault. Lors de cet entretien, nous avons prévu d’encore amplifier les actions menées en la matière. Conformément à notre déclaration de politique communautaire, nous souhaitons renforcer le rayonnement de nos artistes et des membres de notre communauté francophone en Afrique ou dans d’autres États francophones ou francophiles.
L’une de vos questions évoquait notre participation à l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et demandait si la Commission communautaire française devait y être intégrée. De mes échanges avec ma collègue, Mme Fremault, il ressort clairement que nous considérons l’OIF comme un instrument important dans le champ de la francophonie, par rapport à la défense de valeurs universelles et de soutien à tous les États qui en ont besoin pour s’émanciper, se développer et réfléchir à l’avenir de leur jeunesse.
La Commission communautaire française doit-elle en être partie prenante ? Je n’en suis pas persuadée. Je pense que la Fédération Wallonie-Bruxelles nous représente et nous permet d’avoir un levier au sein de cette instance. Cela n’empêche pas que la Commission communautaire française travaille avec l’OIF sur des projets particuliers. Le délégué de la Fédération Wallonie-Bruxelles qui représente les intérêts des francophones de Belgique, qu’ils soient wallons ou bruxellois, intervient pour les besoins du champ de compétences de la Commission communautaire française.
Être intégré en ayant comme obligation notamment de payer une cotisation nous semble impossible, compte tenu du contexte économique de notre institution. En revanche, nous restons attentifs à la possibilité d’actionner les leviers auxquels nous avons accès à Paris.
C’est avec amertume que Mme Persoons évoquait le fait que la Fédération Wallonie-Bruxelles a rejeté une résolution portant sur la volonté d’accueillir un sommet de la francophonie dans notre capitale. Je partage votre point de vue et j’aurais soutenu votre résolution si j’avais fait partie de ce gouvernement. Je ne cherche pas à créer de polémique. Mes collègues doivent avoir de très bonnes raisons d’avoir rejeté cette résolution.
Il aura fallu quinze ans entre le moment où nous avons pour la première fois pensé à Mons en tant que capitale de la culture pour l’année 2015 et celui où elle le devint effectivement. Être responsable politique, c’est donc également savoir se montrer patient.
Je pense que vous avez raison : notre capitale est en droit de revendiquer le plaisir d’accueillir un sommet de la francophonie et j’espère que cela pourra un jour se faire.
Le travail que la Commission communautaire française développe sur le plan international se caractérise notamment par le financement de projets internationaux, présentés par des opérateurs de terrain bruxellois.
Cela passe aussi par des actions « francophonie ». Je pense ici notamment au Centre européen de la langue française, mais aussi au travail de la délégation Wallonie-Bruxelles à Paris ainsi qu’aux missions des membres du gouvernement et de notre administration.
Outre les échanges et partenariats entre experts dans le cadre des accords bilatéraux, je peux aussi évoquer la contribution à des organisations internationales, telles que l’Agence intergouvernementale de la francophonie (AIF).
Pour ce qui est des actions concrètes autour de la Journée internationale de la francophonie, je tiens à vous informer que nous avons soutenu et appuyé plusieurs initiatives largement rendues publiques et dont l’accueil positif me fait penser qu’il s’agira sans doute de grandes réussites.
Je pense notamment à la Semaine de la langue française et de la francophonie. Cette dernière est encadrée par notre célèbre opérateur la Maison de la francité qui a pour mission d’assurer la promotion de la langue française et de la francophonie.
En tant qu’ancienne ministre de la Culture, j’ai pu me rendre compte de la chance que nous avons, car notre capitale est une ville des mots, reconnue comme telle. Ainsi, un programme sera lancé dans la commune de Saint-Gilles qui permettra de jouer avec la langue française. Le but est que les habitants tout comme les associations puissent se l’approprier et faire de la langue française un objet de jeu.
Cette Semaine de la francophonie a donc lieu du 14 au 22 mars, partout dans le monde. Autant d’occasions de partager le français avec engouement et légèreté ! Dans ce cadre, la Maison de la francité propose plusieurs activités, telles que des concours de textes, des ateliers d’écriture, des expositions, mais aussi des expériences sonores originales pour découvrir les littératures francophones d’Afrique et des Caraïbes.
Par ailleurs, notre institution est aussi associée à la programmation de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour la vingtième édition de l’événement littéraire « La langue française en fête », qui se déroule du 14 au 22 mars. C’est d’ailleurs dans le cadre de cette opération que la commune de Saint-Gilles est cette année la « Ville des mots ». Cet événement se décline en projets artistiques aux niveaux international, national et régional.
Avant de conclure, je me dois de vous dire que mon collègue Rudi Vervoort est bien mieux placé que moi pour faire le point sur l’état d’avancement du Bureau d’accueil pour primo arrivants. J’ajoute, et vous le comprendrez aisément Monsieur Van Goidsenhoven, qu’il m’est difficile de vous parler de l’offre de cours de néerlandais dans le pendant flamand dudit Bureau d’accueil.
Enfin, sachez que je ne partage aucunement votre pessimisme, Monsieur Van Goidsenhoven, quant à la vivacité de la langue française au sein de notre belle Région. Je pense, et je ne suis pas la seule, que Bruxelles est un véritable laboratoire de la coexistence de différentes identités, cultures et langues.
La langue française est le ciment de la communication inter-citoyenne à Bruxelles, elle est un instrument d’échange et de dialogue. Plus de 90% des citoyens bruxellois, quelle que soit leur langue d’origine, remplissent d’ailleurs leur déclaration fiscale en français.
C’est en allant vers les citoyens, en faisant en sorte que la langue française soit considérée comme une véritable patrie, accueillante, ouverte à tous, que l’on parviendra à la faire rayonner.
Je partage en outre les propos tenus par Mme Moureaux : la langue française n’a de sens que si elle est le vecteur des solidarités, des valeurs universelles qui rapprochent les peuples du monde entier.
Vous savez, Monsieur Van Goidsenhoven, lorsque l’on a goûté à cette langue si belle, si fière, si modeste, si hardie, touchante, voluptueuse, on n’est plus jamais tenté de lui être infidèle.
Madame la présidente, en cette Journée internationale du bonheur, je vous souhaite à tous d’être très heureux.
M. Gaëtan Van Goidsenhoven (MR).- Nous n’avons pas une séance plénière lors de la Journée internationale de la francophonie chaque année. L’urgence que réclame toute une série de politiques nous fait oublier combien l’essence même de cette institution qu’est la Commission communautaire française s’ancre dans l’appartenance à cette langue française, ici à Bruxelles.
Le fait d’être une institution politique bruxelloise nous donne une responsabilité complémentaire parce que Bruxelles est une grande ville, au rayonnement international particulier (capitale de l’Europe qui accueille différentes institutions internationales, siège de sociétés…). Au départ de Bruxelles, à l’égard de notre population et de ceux qui font usage de cette ville ouverte sur le monde, il y a une responsabilité particulière.
M. Fassi-Fihri nous disait que l’usage du français était menacé. Si ce n’est pas démographiquement, son statut de langue d’usage intellectuel et scientifique est menacé. Même si nos moyens sont limités, il est nécessaire d’éviter de rendre cette question purement cosmétique ou seulement festive et plutôt d’en faire un fil rouge qui guide nos politiques.
Au Québec ou au Nouveau-Brunswick, la pression et l’instinct de survie sont plus peut-être plus grands et le besoin de faire vivre la langue française devient plus impératif dans le quotidien.
Au regard des obligations bruxelloises et de la place de notre Région dans le monde, on devrait inscrire cette obligation d’implication et de résultats au cœur de toutes nos politiques et faire en sorte que 365 jours par an, ce soit la journée de la francophonie pour la Commission communautaire française.
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CR n°13 (2014-2015), Mars 2015, pp. 8-12