INTERPELLATION DE M. GAËTAN VAN GOIDSENHOVEN À M. RUDI VERVOORT, MINISTRE-PRÉSIDENT DU GOUVERNEMENT DE LA RÉGION DE BRUXELLES-CAPITALE, CHARGÉ DES POUVOIRS LOCAUX, DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE, DES MONUMENTS ET SITES, DE LA PROPRETÉ PUBLIQUE ET DE LA COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT,
concernant « le nécessaire examen de l’évolution de certains phénomènes majeurs de criminalité ».
M. Gaëtan Van Goidsenhoven.- Le 26 mars dernier, un individu habitant Anderlecht a été abattu par des unités spéciales de la police fédérale lors d’une tentative d’arrestation sur une autoroute. La presse s’est largement faite l’écho de ce fait divers singulier.
Un arsenal d’armes particulièrement impressionnant a été découvert à son domicile anderlechtois, ainsi que divers indices qui permettent de conclure que cet homme était lié de près à des milieux radicaux.
Par ailleurs, des déclarations d’enquêteurs révèlent que cet individu semble être impliqué dans un vol d’armes de guerre, perpétré également sur le territoire de la commune d’Anderlecht.
Enfin, à la suite de son décès, la presse indique que le propriétaire de cet arsenal aurait effectué des « stages » de combat, notamment en Afghanistan. Depuis lors, la problématique liée aux jeunes Bruxellois qui seraient partis combattre en Syrie fut également au centre des préoccupations de la presse et de nos concitoyens.
Nous pouvons tout d’abord conclure que la menace terroriste – même si elle émane d’éléments très isolés – reste bel et bien présente en Région de Bruxelles-Capitale.
Ce triste récit nous rappelle qu’il existerait des connexions entre les milieux du grand banditisme et le monde du radicalisme. Pour préserver la sécurité de nos concitoyens, la mise en lumière de ces liens dangereux mérite à tout le moins que l’on étudie le phénomène.
En effet, les polices locales ne peuvent pas appréhender, chacune de leur côté, un tel phénomène. Dès lors, je plaide pour que des efforts soient consentis en ce qui concerne l’observation et l’analyse préventive des problèmes de sécurité liés au trafic d’armes d’une part, aux agissements des milieux radicaux d’autre part. En effet, les deux sont parfois connexes.
Pouvez-vous m’indiquer quel pourrait être le rôle de la Région de Bruxelles-Capitale, plus particulièrement de l’Observatoire de la sécurité en de telles circonstances ?
Le gouvernement semble beaucoup miser sur cet observatoire. Quel est donc son action en la matière ? Quel type d’informations ses experts traitent-ils ?
Quels contacts noue l’Observatoire avec nos zones de police en ce qui concerne notamment le radicalisme et ses menaces pour les Bruxellois ?
Il importe que notre Région demeure autant que possible à l’écart d’un cadre d’exportation des conflits qui se déroulent à l’étranger, qu’elle ne devienne pas un point d’ancrage pour les individus et les groupements manifestement décidés à combattre notre État de droit.
Les services de notre Région sont-ils mobilisés dans cette optique ? Plus largement, Bruxelles étant gestionnaire d’infrastructures et de services tels que la STIB qui accueille un large public, je souhaite être davantage informé au sujet de la qualité des contacts formels noués entre le gouvernement, son administration et les autorités fédérales en charge des grandes enquêtes liées au terrorisme et au grand banditisme.
Selon les rapports qui vous seraient fournis, estimez-vous que la communication fonctionne correctement par rapport à ces domaines sensibles ?
Quel nouveau rôle pourrait se voir confier notre Région afin de prévenir tout problème majeur, tel que celui que je relatais au début de mon intervention ?
[Intervention de M. Vincent Lurquin]
M. Rudi Vervoort, ministre-président.- Ma réponse porte sur deux axes, celui de la transversalité et celui de la verticalité.
M. Van Goidsenhoven sait que les compétences de la Région en matière de sécurité, et en l’occurrence pour la lutte contre le terrorisme et le banditisme nés du radicalisme, sont limitées. Aujourd’hui, la Région est déjà chargée de la prévention. Du fait de la réforme de l’État, sa compétence en matière de sécurité sera élargie. Cela ne signifie pas pour autant que nous mettrons en place un ministère régional de la Justice ou un ministère régional de l’Intérieur.
L’élaboration d’un plan régional de sécurité constitue néanmoins un axe majeur de la politique que la Région aura à mener.
La circulation de l’information est une priorité. Il convient à cette fin que nous disposions au niveau de la Région d’une vision claire et nette de l’ensemble des phénomènes qu’il faut appréhender dans le champs de nos compétences.
Quant au radicalisme, au grand banditisme et autres phénomènes de ce genre, la Région ne peut y rester insensible. Il ne serait pas logique non plus que la Région considère ces phénomènes comme n’étant pas de son ressort en les renvoyant par exemple au SPF Affaires intérieures, à la Sûreté de l’état ou à d’autres services.
Nous devons en priorité agir en en amont au travers des dispositifs existants, en matière de prévention notamment. Je songe au réseau associatif que nous avons créé et soutenu dans les communes et les quartiers afin de faire remonter l’information pour prévenir ces phénomènes. La Région et les communes ont un rôle important à jouer en ce sens.
La logique de transversalité et celle de la verticalité impliquent qu’il y ait des échanges entre la Région et les communes ainsi que dans le champ régional avec les autres niveaux de pouvoirs. Bruxelles se situe à la croisée des différents niveaux de pouvoir et de compétence. Il nous revient de faire la synthèse et de faire en sorte qu’au travers de nos politiques, on puisse sinon éradiquer du moins prévenir ces phénomènes, tout en assurant la circulation de l’information.
Ceci justifie la mise en place de l’Observatoire bruxellois pour la sécurité et la prévention de la criminalité et l’élaboration de notre politique de sécurité à l’issue de la sixième réforme de l’État. Je songe au Collège des procureurs dans le cadre duquel la Région participera au processus décisionnel. Les plans communaux de sécurité seront en effet discutés au niveau de la plate-forme réunissant les partenaires de la chaîne de la justice. Cette étape s’opérera à l’échelon régional. On y retrouvera ce qui se fait déjà sur le plan local avec une approche transversale de l’ensemble des phénomènes rencontrés dans les 19 communes.
Dès que l’on pourra garantir la circulation de l’information, et que les acteurs veilleront à faire remonter toutes les informations utiles, nous pourrons apporter notre pierre à l’édifice et renforcer une Région où la sécurité est garantie. J’y suis particulièrement attentif.
En amont, il s’agit de recourir aux mesures mises en place par les communes et la Région. Au moment de leur création, il y a 20 ans, les cellules de prévention n’étaient pas très bien considérées. Il y avait même des difficultés entre ces dispositifs et la police au niveau de l’échange d’informations.
Aujourd’hui, force est de constater que plus personne n’imagine fonctionner les uns sans les autres. Les différents acteurs ont trouvé leur place. Le tout est de continuer à encourager ce type de dispositif et, dans le respect des règles déontologiques, la circulation de l’information afin que la Région, dans le cadre de ses compétences en matière de prévention, puisse pleinement jouer son rôle. Il est évident que le ministre-président ne se transformera pas en ministre de l’Intérieur à part entière, doté d’un service de renseignement et de contre-espionnage.
Je compte en tout cas tirer le maximum des compétences qui sont les miennes.
M. Gaëtan Van Goidsenhoven.- Mon objectif n’était pas ici de laisser croire que la lutte contre les phénomènes de radicalisation, de terrorisme et de grand banditisme devait être pilotée par le ministre-président. Je ne voulais pas non plus pour sa première session mettre la pression sur M. Vervoort. Cette interpellation a été déposée in tempore non suspecto.
Je me souviens avoir interrogé M. Picqué il y a près de deux ans. Il m’avait alors dit combien il était préoccupé parce qu’il avait le sentiment que des liens se créaient entre le radicalisme et une frange de la criminalité dite traditionnelle. Ce fait démontre que le ressenti du terrain était, tant dans son chef que dans le mien, exact.
Notre Région s’est dotée d’un nouvel outil avec l’observatoire. Une de mes questions était de savoir s’il étudie d’ores et déjà cette question, et s’il joue un rôle quant à l’examen, un peu en retrait, de ces évolutions de la criminalité dans l’actualité de tous les jours. La société évolue et la criminalité aussi. Comment appréhender ce genre de phénomènes ?
Enfin, nous avons bien entendu une responsabilité partagée pour nous prémunir par rapport à ces phénomènes.
Je constate néanmoins sur le terrain, même si l’information a tendance à mieux circuler que par le passé, qu’il reste encore aujourd’hui beaucoup de fragmentation. Des acteurs locaux ont encore parfois des difficultés à trouver le juste interlocuteur et à transmettre des informations qu’ils jugent inquiétantes.
Il y a du pain sur la planche et je suis persuadé que les questions de sécurité ne se traitent jamais mieux qu’en dehors d’une actualité brûlante. Chacun sait que si, demain, il y a des caméras, tout le monde va faire des propositions, farfelues ou intéressantes. Je ne crois pas que notre rôle soit de trouver des réponses à l’emporte-pièce au lendemain d’un accident ou d’une tragédie. Il est plutôt, en amont de tous ces événements qui se mettent parfois progressivement en place, de réfléchir, et, pourquoi pas, de sortir des sentiers battus.
M. Rudi Vervoort, ministre-président.- L’observatoire ne pourra travailler que dans les limites de sa capacité à collecter des informations. Or, sans cette compétence, il ne sert à rien d’étudier des phénomènes comme le lien entre terrorisme et grand banditisme. Aujourd’hui, l’observatoire bruxellois n’a pas la capacité de collecter des informations. Cette collecte d’informations entre différents services est du ressort du pouvoir fédéral et ce n’est qu’à ce niveau qu’elle peut se faire de manière pertinente.
M. Gaëtan Van Goidsenhoven.- Je ne parle pas de la collecte, plutôt de l’analyse.
M. Rudi Vervoort, ministre-président.- Mais avant d’analyser, il faut collecter. Et pour ce faire, il nous faut l’autorisation d’accéder à une série de données sensibles. Or, aujourd’hui, nous ne sommes pas dans cette configuration.
Les phénomènes que relève M. Van Goidsenhoven me préoccupent également. Hormis discuter entre nous de nos préoccupations, on ne peut rien faire de plus.
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CRI COM (2012-2013) n°83, Mai 2013, pp. 09-15