La représentation de la Fédération Wallonie-Bruxelles au Sommet de la Francophonie d’Antananarivo

Question d’actualité adressée à M. Demotte concernant la représentation de la Fédération Wallonie-Bruxelles au Sommet de la Francophonie à Antananarivo. (Question posée le 1er décembre 2016)

La semaine dernière a eu lieu à Madagascar le Sommet de la Francophonie qui représente un grand événement pour l’ensemble des francophones de par le monde.

C’est ainsi que, tous les deux ans, les pays et territoires qui partagent la langue française se réunissent. Ils représentent 274 millions de personnes réparties dans 80 pays. Il s’agit aussi d’une des rares occasions où le Nord et le Sud peuvent dialoguer sur un pied d’égalité. Ce moment est important et je me réjouis que nous ayons pu participer de façon active à ce sommet.

M. Fassi-Fihri nous a cité différents aspects de ce sommet et je voudrais vous faire part d’autres éléments.

En effet, il semble que 13 résolutions touchant des thématiques aussi diverses que l’égalité hommes-femmes, l’énergie propre en Afrique, la paix ou des considérations qui nous concernent tous aient été adoptées lors de ce sommet. J’aurais voulu connaître votre avis au sujet de ces 13 propositions de résolutions qui ont été ratifiées.

Pouvez-vous nous en dire plus sur les contacts bilatéraux que vous avez pu avoir lors de cette réunion? Quelles ont été les avancées à propos de certains projets que ces rencontres ont pu générer? Pouvez-vous dresser un bilan de ce sommet dans la capitale malgache?

Lors de ces sommets, il est possible de proposer l’adhésion de nouveaux membres. Cela a été notamment le cas pour l’Arabie Saoudite, ce qui a provoqué une certaine émotion. Si les conditions d’adhésion sont particulièrement souples, il est toutefois clairement fait mention de l’obligation d’adhérer aux valeurs de la Francophonie, dont l’égalité entre les hommes et les femmes.

Le dossier de l’Arabie saoudite me semble être resté assez vague à ce sujet si ce n’est pour mettre en avant la participation des femmes aux élections locales. Bref, pour contourner l’obstacle, il aurait été décidé de repousser le dossier pour une cause purement technique – il serait incomplet – et de l’examiner à l’occasion du prochain sommet dans deux ans en Arménie.

J’aurais souhaité connaître votre position sur cette demande d’adhésion, au regard entre autres du statut des femmes qui sont considérées en quelque sorte comme des mineures dans ce pays. L’adhésion de pays qui ne respectent pas du tout nos valeurs, doit-elle se poursuivre au sein de cette institution, alors que vous avez justement insisté sur la nécessité pour les États membres d’être exemplaires en matière de droits de l’homme et de respect de la personne humaine?

Merci, Monsieur le Ministre-Président, de nous présenter le bilan de ce sommet en abordant quelques questions plus précises.

[Intervention de Mme Olga Zrihen]

[Intervention de Mme Hélène Ryckmans]

Réponse de M. Demotte, Ministre-Président :

Un intérêt pour ce sommet a été marqué à différentes reprises : quand, dans la foulée d’une motion votée par le Parlement fédéral, nous avons posé la question de l’opportunité d’un sommet chez nous, à l’occasion du rapport de M. Wahl et de la visite que Mme Michaëlle Jean nous a rendue sur invitation de notre Président. Il s’agit donc d’un thème qui est présent dans nos esprits et une réflexion s’impose quant à l’utilité d’un tel sommet. Nous allons donc commencer par une question qui a été posée au final.

Dans ce type de sommet, les populations ne sont jamais laissées dans l’indifférence de ce qui se passe. Prenons le cas de Madagascar qui, il y a quelques années, a fait l’objet d’un coup d’État. Nous étions convenus d’organiser un sommet juste avant le coup d’État. Le sommet a été suspendu et nous nous sommes «repliés» sur la Suisse pour organiser notre sommet. Le temps a passé, le pays a redéposé sa candidature et l’OIF a décidé d’y retourner.

La population s’est demandé s’il s’agissait d’une tentative de séduction du pouvoir ou d’une opération de légitimation du pouvoir et si cela ne coûtait pas trop cher par rapport à ce qu’elle pouvait attendre pour elle-même. Ces questions, je les ai entendues venant de jeunes qui s’exprimaient autour et alentour de ce sommet.

Les réponses sont ambiguës. Des progrès ont été réalisés. A l’évidence, l’organisation de ce type d’événement permet une libre expression de nombreuses composantes de la population mais le pouvoir, quel qu’il soit – même nous, quand nous songeons à organiser un sommet chez nous –, veut toujours en faire un vecteur de valorisation. Donc, on ne peut pas imaginer que cela soit comme cela ailleurs. Cependant, la dialectique est bien là. Jeunes et moins jeunes, mais les jeunes surtout, ont pu s’exprimer et, ne serait-ce que pour cela, c’est important.

J’ai clairement mis l’accent, tant dans mon discours d’introduction que lors des huis clos, sur la question des droits de l’homme et notamment sur la condition spécifique de la femme dans la Francophonie. Je n’ai pas été le seul à mettre ce sujet en exergue. Il a également été rappelé par plusieurs personnes, à commencer par la Secrétaire générale. Elle a tenu ce discours ici-même et elle l’a rappelé en interne. MM. Trudeau, Couillard et Hollande ont fait de même.

Aujourd’hui, l’OIF se construit de plus en plus sur l’idée qu’elle n’est pas seulement porteuse d’une langue commune. Certes, le Français est une très belle langue, inspirée par son histoire et ses racines mais est-ce suffisant pour se réunir? L’OIF n’est pas un club international d’échanges sur la beauté de la culture française. Il fallait autre chose. Les valeurs précitées en sont de plus en plus l’expression.

De plus, la Francophonie s’élargit de sommet en sommet en accueillant ou en gardant en son sein des pays dont je dirais, dans un langage à peine diplomatique, que la dissonance entre leurs valeurs et leurs comportements est assez évidente. J’ai rappelé que nous devions être l’expression d’un espace démocratique où prévalent les droits humains, que la citoyenneté responsable faisait partie du socle des valeurs que nous portions et que la tolérance et l’ouverture étaient le complément de ce que j’avais mis en exergue auparavant. Le Sommet posait la question de la poursuite de l’élargissement. Certaines demandes ne posaient pas de problème. Celle de l’Arabie Saoudite a par contre causé un certain trouble, pour ne pas dire de l’émoi, dans plusieurs délégations.

En concertation avec le pouvoir fédéral, nous étions convenus que le dossier ne correspondait pas à certains critères, qui ne sont pas que formels. Car quand on pose la question : «Avez-vous, dans votre quotidien, des axes qui corroborent votre adhésion à la charte des droits de l’OIF ?», le fond l’emporte sur la forme. Les Belges francophones ont été les premiers à trouver une solution technique pour éviter que le débat porte exclusivement sur le fond et pour éviter ainsi d’écarter a priori le dossier.

Le mode de décision de l’OIF n’a jamais emprunté à la logique du vote. Mme Jean le savait : en allant vers cette logique, l’OIF n’en serait pas sortie indemne. C’est pourquoi nous avons utilisé cette technique. Mais à huis clos, nous avons été plus clairs que cette expression modérément technique.

Peut-on accepter que des femmes qui dialoguent et se disputent sur WhatsApp fassent l’objet d’un arbitrage juridictionnel et soient condamnées à quelques jours de prison et à dix coups de fouet chacune? Alors que nous organisons des événements pour la liberté des blogueurs, comment accepter qu’un blogueur soit condamné à mille coups de fouet?

Certains ont dit que si on relâchait le blogueur avant le sommet, la candidature de l’Arabie Saoudite pourrait être considérée. Mais est-ce que passer de mille à cent cinquante coups de fouet représentait le prix de la démocratie? Nous n’avons pas voulu transiger sur les principes.

Nous avons été clairs, d’autres ont eu des positions un peu plus ambiguës que les nôtres, ils s’en sont peut-être mieux sortis sur le plan oratoire à un certain moment. Chacun reconnaîtra ses jeunes! Nous avons toujours suivi la même ligne et nous avons été parfaitement clairs.

J’en viens aux thématiques précises qui ont fait l’objet d’un débat. Nous avons voulu tout d’abord donner une place à la jeunesse. Chaque délégation a eu la chance d’avoir, en son sein, des jeunes que nous n’avons pas choisis nous-mêmes car c’est l’OIF qui, par des procédures ouvertes, s’en est occupé. Notre délégation a eu ainsi le plaisir de compter dans ses rangs la présence de Marie Beheyt, jeune étudiante de l’ULB en relations internationales. Je pense qu’elle est d’ailleurs ici, dans la tribune du public. Elle a été pour nous une très belle révélation car l’engagement des jeunes, chez nous comme ailleurs, a été profitable à ce sommet.

Des événements purement destinés à la jeunesse ont été organisés. J’ai ainsi pu participer à l’après-midi «Libres Ensemble», avec plus de 150 jeunes, dont la jeune slameuse bruxelloise Joy. «Libres Ensemble» est une vaste initiative de mobilisation et de libre expression de la jeunesse francophone. Nous parlions de l’association de la société civile à ce sommet. Eh bien, chaque jeune avait l’occasion d’enregistrer un message, de le faire passer aux autres. Des centaines, des milliers de jeunes se sont exprimés de cette manière.

Des mesures ont également été prises pour que les jeunes soient soutenus dans la logique des entreprises, pas seulement dans un sens purement entrepreneurial mais dans sa globalité. J’ai visité les stands du Salon des jeunes entrepreneurs. Ce salon est organisé par la Conférence des ministres de la Jeunesse et des Sports de la Francophonie (CONFEJES), avec l’appui de la Fédération Wallonie-Bruxelles. J’ai eu l’occasion, avec des ministres d’autres pays, de remettre des prix de cette conférence à des jeunes. C’est une forme d’appui extrêmement concret de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Un des thèmes de ce sommet portait sur les nouvelles technologies et sur leur rôle dans le développement durable.

Le high-tech peut constituer un appui au développement durable. Il y a ainsi eu le projet «NEST’in» dont le but était d’amplifier les méthodes de sélection d’idées. Il y a lieu de voir dans ce projet une espèce de pré-couveuse pour entrepreneurs. Ce fut un grand succès, appuyé essentiellement par la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Je terminerai en disant que nous n’avons pas été totalement satisfaits par le choix de l’ordre dans lequel se succéderont les deux sommets. Nous aurions aimé que la Tunisie soit choisie pour 2018, car, pour nous Belges francophones, de profonds changements s’opèrent aujourd’hui sur le flanc méditerranéen. La Tunisie a été un pays courageux qui a modifié sa constitution, contre l’avis des courants fondamentalistes, en séparant clairement État et religion et en donnant des droits aux femmes. 

À nos yeux, il aurait été plus judicieux de contribuer à la consolidation d’un pays qui fait montre de valeurs parmi les plus positives, que de se rendre en Arménie pour y témoigner de notre affection. En effet, l’Arménie a déjà accueilli une conférence interministérielle, il y a un certain temps. Gardons cependant en tête – pour équilibrer mon propos – que le choix de l’Arménie peut également être interprété comme un message adressé à la Turquie et à la protection des minorités.

En ce qui nous concerne, nous aurions fait le choix inverse mais il y a eu concertation puis prise de contact entre les bureaux des deux pays qui ont estimé que cet ordre était acceptable. Nous n’avons donc pas fait opposition à ce consensus même si nous regrettons le choix qui en découle. Nous ne perdons pas de vue que tout le flanc nord-africain et le Proche-Orient sont instables et connaissent des bouleversements, tant et si bien que l’Afrique subsaharienne en subit aujourd’hui les conséquences immédiates.

Ensuite, nous nous sommes rendus au Sénégal pour analyser, projet par projet, ce qui avait été mené dans le cadre des accords de coopération bilatéraux mais aussi et surtout pour parler de la question de l’Arabie Saoudite. En effet, à un moment donné, le Sénégal a été un des pays qui, tout en plaidant pour que l’Arabie Saoudite fasse son entrée, émettait un certain nombre de réserves qui rejoignaient les nôtres sur la forme.

Nous avons eu un contact avec le Rwanda avec lequel nous sommes en passe de négocier un accord bilatéral. Il lui fallait notamment comprendre les mécanismes institutionnels qui permettent à la Fédération Wallonie-Bruxelles d’être considérée comme une entité capable de signer des traités. La crainte, dans une logique de type jacobin, était qu’une signature d’un tel accord serait impossible avec une entité fédérée.

Un contact a également eu lieu avec le Vietnam avec lequel nous avons a refait le bilan sur tous les points de négociation qui avaient déjà été abordés lors de réunions bilatérales. C’est le Président du Vietnam et le Président du Sénégal que j’ai rencontrés.

J’ai refusé deux contacts. Un refus, certes non irréversible, concernait le Maroc. Ce dernier envisageait de se justifier de l’attitude qu’il avait adoptée pendant le Sommet ; il y avait refusé le compromis selon lequel l’Arabie Saoudite ne pourrait intégrer l’OIF sur la base des éléments formels que j’ai rappelés. Entamer un dialogue dans lequel j’aurais eu l’impression soit de me justifier soit d’entendre les représentants marocains se justifier, n’avait pas de sens. Nous les reverrons à un moment ultérieur. Nous avons des contacts bilatéraux avec le Maroc et nos relations restent cordiales. Cependant, dans ce cadre précis, j’ai trouvé que ni le lieu ni le moment ne se prêtaient à un contact.

J’ai catégoriquement refusé un contact avec l’Arabie Saoudite : je trouvais indécent de vouloir défendre leur position dans les circonstances que l’on connaît. Enfin, une dernière question de Madame Ryckmans sur mon engagement spécifique portait sur les droits des femmes. Je pense y avoir répondu. J’ai été aussi assertif que Julien Trudeau à ce sujet, mais peut-être que, pour des raisons physiques, on a davantage retenu ce qu’il a dit que moi.

[Réplique de M. Hamza Fassi-Fihri]

Réplique de M. Gaëtan Van Goidsenhoven

Je vous remercie, Monsieur le Ministre-Président, de nous avoir répondu avec clarté, c’est toujours agréable. Manifestement, l’élargissement des adhésions doit trouver un sens nouveau. Il est vrai qu’on peut s’interroger sur une Francophonie qui admettrait l’adhésion de pays dont les liens avec elle, du point de vue culturel ou du point de vue des valeurs, seraient assez ténus. Cela ne ferait qu’affaiblir cette institution. Ce serait de nature à lui porter sur le long terme un coup fatal. Je vous rejoins évidemment dans votre volonté de ne pas céder à un certain nombre de pressions, singulièrement sur la question de l’adhésion de l’Arabie Saoudite.

Par ailleurs, je vous ai entendu évoquer brièvement des discussions bilatérales avec le Rwanda. J’aurais souhaité y voir plus clair, sachant que les rapports entre le Rwanda et la Francophonie sont complexes depuis les années 1990. Peut-être avons-nous un rôle particulier à jouer dans ces rapports toujours un peu délicats? Je serais donc heureux si vous pouviez nous éclairer à ce sujet. 

Pour terminer sur un espoir, même s’il n’est peut-être pas partagé par tous, il serait intéressant à moyen terme d’envisager ici, dans la capitale de l’Europe, d’accueillir un sommet de la Francophonie. Dans l’Europe actuelle, la Francophonie se fragilise. L’Europe est un enjeu important. Favoriser la rencontre entre Francophonie et Europe dans un lieu comme Bruxelles serait donc effectivement un symbole fort. Bien entendu, nous n’y sommes pas encore mais peut-être qu’un jour, nous pourrons nous rassembler toutes et tous autour de ce beau projet.

Retrouvez l’intégralité du débat dans le compte-rendu de la séance plénière en cliquant ici.
(CRI No 6 (2016-2017), pp. 26-31)