Question orale de M. Gaëtan Van Goidsenhoven à M. Rudy Demotte, Ministre-Président
concernant les «Relations bilatérales entre la FWB et la Tunisie discutées lors d’une visite officielle»
M. Gaëtan Van Goidsenhoven (MR). – Monsieur le Ministre-Président, dans le cadre d’une mission officielle, vous vous êtes rendu en Tunisie en février, afin de rencontrer plusieurs responsables du pays et de discuter de nombreux sujets, comme l’état de progression de différents projets de coopération. La Fédération Wallonie-Bruxelles semble considérer la Tunisie comme un partenaire privilégié dans ses relations bilatérales. Les thèmes prioritaires de cette coopération concernent non seulement l’éducation, la formation et le dialogue interculturel, mais aussi le développement durable, la jeunesse et les valeurs de la modernité.
Je saisis cette occasion pour vous interroger sur l’ensemble des projets que nous menons avec la Tunisie. J’entends m’informer sur leur état d’avancement, ainsi que sur le niveau de satisfaction des parties concernées. Les relations bilatérales n’ont pas été le seul sujet abordé lors de ces rencontres. L’actualité médiatique révèle que les enjeux autour de la Francophonie étaient également au cœur des débats.
Ceci étant, pouvez-vous nous apporter des précisions quant à l’état actuel de nos relations bilatérales avec la Tunisie, aux projets de la Fédération Wallonie-Bruxelles, mais aussi aux interlocuteurs que vous avez rencontrés sur place? Quels ont été les sujets abordés dans le cadre de l’état de la coopération bilatérale? Les discussions ont-elles permis de dégager de nouvelles pistes pour nos relations bilatérales ou ont-elles eu pour seul objectif de faire l’état des lieux de ces dernières? Enfin, concernant le thème de la Francophonie, pouvons-nous connaître le bilan de vos discussions? La Tunisie accueillera fort probablement le 18e Sommet de la francophonie en 2020. Ce sujet a-t-il été abordé?
Réponse de M. Rudy Demotte, Ministre-Président. – Monsieur le Député, j’étais en Tunisie du 15 au 17 février. Depuis le Printemps arabe, ce pays fait preuve d’un grand courage et face à de multiples défis. Je tiens à rappeler notre soutien indéfectible à cette Tunisie en voie de démocratisation. Elle est l’un de nos principaux pays partenaires.
J’ai eu l’occasion de discuter des compétences qui nous préoccupent avec le président de la République tunisienne ainsi qu’avec le Premier ministre, le ministre des Affaires étrangères et le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Je le fais d’ailleurs à chacune de mes visites, et ce depuis la révolution tunisienne de 2011.
Concernant les thèmes abordés, un sujet s’invite dans tous les agendas: celui du radicalisme violent. Nous avons abordé la question de l’attractivité économique de la Tunisie tout en gardant à l’esprit les difficultés que peut connaître pays en transition. Nous avons aussi discuté des secteurs prioritaires de notre coopération bilatérale et des droits des femmes. J’aurais peut-être dû commencer par ce dernier point, car la Tunisie est un pays exemplaire dans la lutte pour les droits des femmes. J’ai d’ailleurs dit à de nombreuses reprises devant cette commission qu’un des baromètres de la démocratie était précisément le droit des femmes. Enfin, comme indiqué dans le calendrier des rencontres, j’ai également eu l’occasion de discuter de recherche et d’enseignement.
Concrètement, la programmation actuelle nous permet de travailler sur 27 projets. Ils concernent l’enseignement supérieur et la recherche, l’environnement et le développement durable, la formation professionnelle, le développement culturel, cœur de notre institution, les médias et leur émancipation et, enfin, le soutien aux organisations de la société civile, dont celles des femmes et de la jeunesse, qui ont joué un rôle majeur dans le Printemps arabe. Il ne s’agit pas seulement d’un état des lieux. Ces rencontres nous ont permis de voir comment ajuster notre coopération, en tenant compte des remarques des opérateurs tunisiens et des différents délégués de notre Fédération Wallonie-Bruxelles.
Au cours de cette mission, j’ai signé, avec le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, une déclaration d’intention qui porte sur le renforcement des coopérations et des collaborations existantes, permettant ainsi la conclusion d’un futur accord-cadre sectoriel. Il répond à l’intérêt de nos opérateurs, mais aussi aux demandes tunisiennes.
Le développement démocratique de la Tunisie est indissociable de l’organisation, sur le terrain, du monde associatif. La société civile a un poids prépondérant dans la société tunisienne. C’est évidemment aussi aux acteurs économiques, politiques, sociaux et culturels qu’il faut s’adresser, et notre programmation s’y attèle en soutenant diverses actions de la société civile sur le plan culturel et formatif.
La coopération intersyndicale s’inscrit également comme priorité pour notre partenaire qui épingle la difficulté de reconnaître le pluralisme syndical. Vous savez que dans ce pays a existé, sous la houlette du pouvoir politique, une structure syndicale unique. Il a donc aussi fallu activer socialement l’engagement citoyen sur ce terrain.
Concernant les créations et les échanges, le volet culturel de notre coopération est un peu moins visible. Cependant, notre délégation s’est fortement impliquée dans le projet multilatéral unique, un programme d’appui aux politiques culturelles en Tunisie, basé essentiellement sur des financements européens. Notre délégation a également mobilisé des experts de l’administration générale de la Culture (AGC), dans un soutien institutionnel au ministère tunisien de la Culture, qui avait souhaité avoir recours à nos experts.
La mission devait également conforter les axes prioritaires de notre coopération bilatérale en réponse aux enjeux de la transition en cours en Tunisie. Comment s’y prendre? Comme je l’ai dit, notre intérêt pour la Tunisie est manifeste, mais le caractère privilégié de cette coopération est fondé sur la défense de ce qui est aujourd’hui au cœur du processus de démocratisation en Afrique du Nord. Je pense aux valeurs universelles de liberté qui sont également mobilisées face aux questions de lutte contre l’émergence du radicalisme violent; il s’agit de la manière dont sont organisées les structures de justice, de droit, de solidarité et de démocratie. Je pense aussi, au besoin, de la manière dont on peut les articuler avec les programmes multilatéraux. Je ne songe pas seulement à l’Union européenne, mais aussi à la Francophonie – puisque vous avez abordé ce sujet tout à l’heure – et de façon encore plus globale à l’ONU.
Parmi les enjeux relatifs à la Francophonie, figure avant tout la préparation de ce sommet de 2020. Vous savez que nous, Belges francophones, avons été les principaux défenseurs de la Tunisie dans l’organisation de ce sommet. Nous souhaitions d’ailleurs qu’il soit organisé dès 2018, avant même celui prévu en Arménie. Sur le plan géopolitique, nous considérions que les frontières actuelles de l’Union européenne, et particulièrement le pourtour méditerranéen, méritaient que la situation démocratique soit d’urgence consolidée en Tunisie. Les arbitrages ont conduit à l’inscription de la Tunisie dans l’agenda juste après l’Arménie; nous respectons évidemment ce choix, étant donné que les Tunisiens eux-mêmes l’ont accepté, mais nous étions favorables à l’idée que la priorité soit donnée à la Tunisie. Concernant la préparation, qui n’était d’ailleurs pour nous pas seulement un enjeu politique, nous souhaitions aussi, sur le plan organisationnel, que toutes les infrastructures soient immédiatement disponibles, et la Tunisie avait cette faculté de répondre immédiatement aux besoins.
J’ai eu l’occasion de revenir sur les points précis qui ont été abordés en marge du sommet préparatif en donnant un certain nombre d’orientations et de conseils, et en rappelant que nous restions disponibles afin que la Tunisie puisse s’appuyer sur nos experts, comme je l’ai fait dans d’autres domaines.
J’ai également fait en sorte que l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) prenne conscience de la place géopolitique essentielle de la Tunisie. La semaine dernière, j’ai rencontré la secrétaire générale de l’OIF, Michaëlle Jean, à Bruxelles. En colloque singulier, je lui ai indiqué qu’il nous semblait crucial qu’elle se rende personnellement en Tunisie, car les Tunisiens attendent des signes de notre part et ont besoin d’une présence sur le terrain. L’OIF lutte intensément pour le respect des droits des femmes. Or, la Tunisie est un pays extrêmement progressiste à ce sujet, au regard des récentes réformes constitutionnelles. Elle fut notamment à l’avant-garde du combat pour l’avortement, puisque celui était déjà autorisé à l’époque du président Bourguiba, alors que le pays était encore en pleine réflexion sur ces matières. Aujourd’hui, la Tunisie reste un précurseur sur certains points tels que la place des femmes dans un système paritaire transversal, une avancée que même nos démocraties occidentales ne connaissent pas toujours, à quelques exceptions près. La présence de Mme Jean en Tunisie se justifie donc pleinement.
Concernant la coopération bilatérale, nous avons trouvé des charnières intéressantes avec les programmes de la Francophonie. Nous ne devons toutefois pas reproduire d’un côté ce que nous faisons de l’autre, mais plutôt parvenir à gagner en force et énergie. Notre action porte principalement sur la diversité culturelle. Dans ce débat, et nous l’évoquions plus tôt à propos du radicalisme, les valeurs principales sont, d’une part, la liberté et les valeurs démocratiques et, d’autre part, la capacité de s’apprécier, mais aussi de se disputer, et ce toujours dans le respect de la différence.
Tous ces éléments – les politiques de jeunesse, la gouvernance, les droits et libertés, la relation entre l’émergence des libertés et la croissance du tissu économique, mais aussi la place du numérique dans les processus d’émancipation – sont au cœur de nos préoccupations et, lors de ma mission, je me suis attaché à les faire valoir.
Réplique de M. Gaëtan Van Goidsenhoven (MR). – Je vous remercie, Monsieur le Ministre-Président, pour votre réponse longue et détaillée; je n’en attendais pas moins. La Tunisie détient un rôle clé, presque un rôle de «clé de voûte», dans le bassin méditerranéen, puisqu’elle se situe en ligne de front dans cette lutte pour les valeurs universelles et contre tout ce que nous abhorrons: le radicalisme, le terrorisme et l’obscurantisme. Y voir émerger une démocratie solide, ouverte à la société civile et largement impliquée dans le progrès des droits des femmes est fondamental. C’est pourquoi il est primordial que nous entretenions des relations fructueuses avec ce pays.
Je souhaite rappeler que le gouvernement tunisien a récemment réaffirmé son attachement au statut privilégié de la langue française en tant que langue porteuse de valeurs et passerelle vers l’Afrique francophone. Les enjeux sont multiples et, au vu de ce qui se passe en Tunisie, tout le soutien que nous pourrons lui apporter sera essentiel.
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CRIc No 71-RI10 (2016-2017), 13/03/2017, pp. 3-5