La promotion du multilinguisme par le gouvernement bruxellois est-il le faux nez de l’anglicisation ?

Dans une Ville-Région, ouverte sur le monde et siège de diverses institutions internationales, au premier rang desquels les institutions européennes, il serait sot de ne pas comprendre l’intérêt de promouvoir l’apprentissage des langues, au-delà du français et du néerlandais. L’enjeu culturel et économique est évident pour l’ensemble des apprenants.

Sur cette base, chacun devrait louer l’objectif du Gouvernement bruxellois de promouvoir le multilinguisme à tous les étage de la lasagne institutionnelle bruxelloise, même si les actes ne rejoignent pas toujours les paroles : la cité des langues présentée comme une avancée majeure par la COCOF ne verra finalement le jour qu’en version numérique. Une fois dépassée l’ambition de façade, force est de constater que la volonté de promotion « des langues » se résume pour l’essentiel à un unilinguisme voué à la seule langue anglaise. Depuis deux législatures, nous assistons dans le chef des décideurs bruxellois à une anglomanie dont les excès ne visent pas tant à promouvoir l’apprentissage des langues étrangères qu’à l’effacement des langues nationales dans l’espace public bruxellois. Songeons au remplacement systématique des noms des administrations et organismes bruxellois en faveur de vocables anglais ou supposés tels : de Citydev, en passant par Hub et Homegrade, jusqu’à Urban.brussels (la STIB et Bruxelles-Propreté résistent encore mais pour combien de temps ?).

Quant aux programmations culturelles ou festives, qu’elles soient d’audience communale ou régionale, l’usage des intitulés en néerlandais et en français s’y raréfie de façon extrême. Chacun se souviendra de l’épisode contesté de la transformation des populaires « Journées du Patrimoine » en « Heritage Days ». Manifestement, cette dégradation des langues nationales (ne parlons même pas de l’allemand traité à Bruxelles comme une langue étrangère de seconde catégorie) ne suffit plus aux prosélytes du tout à l’anglais. La volonté vise de plus en plus à contester le rôle de lingua franca du français à Bruxelles.

Malgré tous les outrages, le français reste cet élément de partage entre les réalités de plus en plus divergentes entre l’est et l’ouest, entre le sud et le nord de notre Région bruxelloise. Mais cela ne suffit plus à certains, qui rêvent ou revendiquent même de voir l’anglais promu comme troisième langue officielle à Bruxelles, comme si dans les faits elle ne l’était déjà pas. En effet, pour s’en convaincre, il suffit de constater que la plupart des sites internet des organismes bruxellois sont déjà trilingues. Pour persuader les réticents, on essaie de nous vendre l’histoire du citoyen anglophone en détresse, confronté à des services communaux unilingues. Mais nul besoin d’un changement des règles et des législations linguistiques. Dès à présent, comme il n’existe aucune norme ou standard concernant la langue d’accueil des usagers dans les communes, tant que les lois coordonnées sur l’emploi des langues en matière administrative sont respectées, le choix des langues d’interaction avec les usagers relève de l’autonomie communale. Bref, il est tout à fait loisible de s’assurer de modalités d’accueil multilingues dans les communes si telle est la volonté des autorités. Mais cela ne suffit pas et certains beaux esprits ne cachent même plus qu’ils visent à cantonner le français et le néerlandais au rôle de simples langues vernaculaires ou pire, de patois à l’usage de citoyens rétrogrades.

N’allez pas parler à ces grands penseurs du globish, de l’héritage culturel porté par la langue française comme ciment intellectuel depuis le Siècle des Lumières jusqu’au bouillonnement culturel actuel qui abreuve la francophonie et parfois le monde ; ils vous riront au nez. Il est vrai que leurs thèses sont de plus en plus ouvertement partagées pas un gouvernement bruxellois afféré à promouvoir un usage de plus en plus exclusif de l’anglais.

Les personnalités politiques francophones ne sont pas en reste pour porter leur pierre à l’édifice de cet effacement des langues nationales. Que ce soit par indifférence, par peur de la ringardise ou par conviction, il devient difficile de saisir dans les propos des autorités régionales la moindre préoccupation à l’égard de l’usage du français et encore moins de son rayonnement. Lors du récent discours de politique générale du gouvernement de la COCOF, censé représenter le million de Francophones bruxellois, il ne fut pas une seule fois question de langue française ou de promotion de la francophonie.

La situation est d’autant plus navrante que la préservation d’une identité culturelle n’entraîne pas automatiquement la méconnaissance des autres langues. Les responsables politiques qui se pressent pour effectuer des missions au Québec auraient pu au moins s’en apercevoir. Mais gageons, avec un peu d’optimisme, que nos ministres bruxellois, présents ou à venir, en se souvenant d’avoir chanté à tue-tête « Bruxelles je t’aime ! », comprendront enfin que la langue française n’est pas une vieillerie honteuse mais un trésor en partage, qui ne fait barrage en rien à ce multilinguisme indispensable aux générations futures.